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quelles d’ici, le parti adversaire l’a voulu uniquement saisir. Ces exagérations pourtant, en ce qu’elles ont de trop réel, nous les poursuivrons aussi, nous les dénoncerons dans la tournure même de son talent, dans l’absolu de son caractère ; nous en mettrons, s’il se peut, à nu la racine. Heureux si, dans ce travail respectueux et sincère, nous prouvons aux admirateurs, je dirai presque aux coreligionnaires de l’auguste et vertueux théoricien, que nous ne l’avons pas méconnu, et si en même temps nous maintenons devant le public impartial les droits désormais imprescriptibles du bon sens, de la libre critique et de l’humaine tolérance !

I.

L’aîné du comte Xavier et l’un des plus éloquens écrivains de notre littérature, le comte Joseph-Marie de Maistre, naquit à Chambéry, le 1er  avril 1753. Voltaire, à Ferney, ne se doutait pas, en face du Mont-Blanc, que là grandissait, que de là sortirait un jour son redoutable ennemi, son moqueur le plus acéré. Le père du futur vengeur, magistrat considéré, après des charges actives noblement remplies, était devenu président au sénat de Savoie[1] ; son grand-père maternel, le sénateur de Motz, gentilhomme du Bugey, qui n’avait eu que des filles, s’attacha à ce petit-fils, et toute la sollicitude des deux familles se réunit complaisamment sur la tête du jeune aîné, qui devait porter si haut leur espérance[2]. Dès l’âge de cinq ans, l’enfant eut un instituteur particulier, qui, deux fois par jour, après son travail, le conduisait dans le cabinet de son grand-père de Motz. La nourriture d’étude était forte, antique, et tenait des habitudes du XVIe siècle, mieux conservées en Savoie que partout ailleurs. L’esprit du grand jurisconsulte Favre n’avait pas cessé de hanter ces vieilles maisons parlementaires. Tout concourait ainsi, dès le début, à faire de M. de Maistre ce qu’il apparaît si impérieusement dans

  1. J’emprunte beaucoup, pour les détails positifs, à l’Éloge inséré au tome XXVII des Mémoires de L’Académie des Sciences de Turin, et qui fut prononcé en janvier 1822 par M. Raymond, physicien et ingénieur distingué de Savoie : c’est la plus exacte notice qu’on ait écrite sur la vie qui nous occupe.
  2. Outre le comte Xavier, M. de Maistre eut trois frères, un évêque et deux militaires, gens distingués à tous égards, mais que rien d’ailleurs ne rattache plus particulièrement à lui.