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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/325

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JOSEPH DE MAISTRE.

Fut-il tout d’abord ce que ses brillans écrits l’ont montré, théoricien intrépide d’une pensée qui contredisait si absolument celle de son siècle ? Sa vie et sa doctrine n’eurent-elles qu’une seule et même teneur entière et rigide en toute leur durée ? ou bien M. de Maistre eut-il en effet, lui aussi, une époque de tâtonnement et d’apprentissage, une jeunesse ? Il serait trop extraordinaire qu’il eût commencé d’emblée par une opposition si brusque à tout ce qui circulait. Les grands esprits apprennent vite, mais ils apprennent ; ils reculent, ils ensevelissent leurs sources, mais ils en ont. Le temps des purs prophètes et des jeunes Daniels est passé ; c’est à l’école de l’histoire, à celle de l’expérience pratique et présente que se forment les sages et les mieux voyans. Deux discours de M. de Maistre, l’un publié lorsqu’il n’avait que vingt-deux ans, et l’autre prononcé quand il en avait vingt-quatre, vont nous le produire au début, ayant déjà l’instinct du style et du nombre, mais des plus rhétoriciens encore, assez imbu des idées ou du moins de la phraséologie du jour, et tout-à-fait l’un des jeunes contemporains de Voltaire et de Jean-Jacques finissans.

Le premier opuscule qu’on ait de lui, publié à Chambéry en 1775, a pour sujet et pour titre l’Éloge de Victor-Amédée III, duc de Savoie, roi de Sardaigne, de Chypre et de Jérusalem, prince de Piémont, avec cette épigraphe : Détestables flatteurs, présent le plus funeste, etc. Le candide panégyriste, en effet, s’abandonne avec ivresse, mais il ne flatte pas. Dans cette espèce d’épithalame adressé au père et au roi au moment du mariage de son fils Charles-Emmanuel avec Clotilde de France et pour fêter leur voyage en Savoie, le jeune substitut épanche en prose poétique sa fidélité exaltée envers son souverain. Il vante les vertus patriarcales de l’époux : « … À qui vais-je parler ? Quoi ? dans le XVIIIe siècle je vanterai les douceurs de l’amour conjugal ?… Eh bien ! je parlerai… » Et il raconte l’anecdote de l’étranger qu’il conduit à travers les appartemens du palais et qui, arrivé dans le cabinet du roi, dit : « Je ne vois point le lit du roi. » — « Monsieur, lui répondis-je, nous ne savons ce que c’est que le lit du roi ; mais, si vous voulez voir celui du mari de la reine, passons dans l’appartement de Ferdinande… » Il loue la religion du roi, il le loue de faire disparaître l’ignorance : l’enthousiasme, alors de rigueur, pour l’agriculture, pour les lumières, circule au milieu de ce culte de la religion conservé. Ce sont des déclamations sur les travaux construits : « Une digue immense arrête le Rhône prêt à engloutir