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férerai pas plus long-temps ; aujourd’hui même je parlerai à Henriette.

Il est inutile de décrire le ravissement d’André Dornier, qui se voyait arrivé au but.

— Au revoir ! dit le député en mettant enfin un terme aux protestations de dévouement et de reconnaissance dont il se voyait accablé. Je ne pense pas qu’en faveur de notre arrivée ma sœur daigne changer quelque chose à ses habitudes ; nous ne la trouverons chez elle qu’à quatre heures : y viendrez-vous ?

— Pouvez-vous en douter ? s’écria Dornier, qui, avant de sortir, saisit avec transport la main de son futur beau-père et fit le geste de la porter à ses lèvres.

— C’est un brave et loyal garçon, se dit, après qu’il fut parti, M. Chevassu, et, tout considéré, j’ai raison de lui donner ma fille. Il n’est pas riche, mais il ne manque pas de talent, et, en lui continuant mes leçons, j’achèverai d’en faire un homme d’un vrai mérite.

Aussitôt après le départ d’André Dornier, Henriette entra dans la chambre où était son père. Au lieu de dormir ainsi qu’elle en avait prétexté le besoin, la jeune fille s’était livrée à un soin beaucoup plus important à son âge : elle avait remplacé son peignoir de voyage par celle de ses robes qu’elle trouvait la plus jolie. N’ayant pas vu depuis son enfance Mme de Pontailly, Mlle Chevassu ne pensait pas sans émotion à leur prochaine entrevue ; c’était à ses yeux un évènement aussi solennel qu’une présentation à la cour. Près de paraître, petite provinciale, devant une grande dame de Paris, elle avait cru indispensable d’appeler un peu de coquetterie à l’aide de sa fraîche beauté, qui n’avait nul besoin d’un pareil secours. Mais, au moment où elle vint rejoindre son père, une émotion plus vive encore que celle de la toilette agitait la jeune fille. Une froide pâleur couvrait ses joues, ses yeux étincelaient, quoique son regard parût fixe ; sa démarche était rapide et saccadée.

— Mon père, dit-elle avec explosion, je n’épouserai jamais M. Dornier.

— Qu’est-ce que vous dites ? répondit M. Chevassu, étourdi de cette brusque attaque.

— Je n’épouserai jamais M. Dornier, répéta la jeune fille d’une voix altérée, mais résolue.

— Et d’où savez-vous que vous devez l’épouser ? demanda le député en évitant d’engager immédiatement le combat ; vous nous écoutiez donc ? Écouter aux portes ! Ah ! Henriette !