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L’ÉGLISE D’IRLANDE.

Dans ma précédente lettre, j’ai dit quelles étaient les causes purement politiques, les causes accidentelles de l’agitation qui règne en Irlande ; il me reste à dire quelles en sont les causes permanentes. Que l’avénement des tories au pouvoir, et la position particulière de M. O’Connell aient exercé une grande influence sur la situation actuelle, je le veux bien ; mais croire qu’un changement de ministère, ou la disparition de M. O’Connell de la scène publique ramènerait la tranquillité en Irlande, ce serait s’abuser singulièrement. Ce n’est pas M. O’Connell qui a créé l’agitation, c’est l’agitation qui a créé M. O’Connell. L’Angleterre a pour habitude invariable de ne s’occuper de l’Irlande que quand des troubles sérieux y appellent forcément son attention ; puis quand ces troubles sont passés ou comprimés, elle retombe dans son orgueilleuse indifférence. Ainsi le mouvement actuel en faveur du rappel pourra être étouffé, ou pourra s’éteindre de lui-même ; mais ce serait une folie d’imaginer qu’il ne se reproduira pas un an ou deux ans après, et par intermittences, tant que les causes générales qui l’ont produit seront laissées intactes. Il y a eu des insurrections en Irlande avant M. O’Connell, il y en aura après lui. M. O’Connell se vante, et avec raison, d’avoir su remplacer par des mouvemens pacifiques et organisés les révoltes sanglantes, souvent barbares, qui désolaient autrefois l’Irlande. On peut dire que la paix repose aujourd’hui sur la vie de cet homme, et on peut à peine dire s’il aura lui-même la force de dominer toujours ce mouvement, qu’il a soulevé. L’Angleterre a beau l’accuser et le maudire, elle a beau vouloir rejeter sur lui la responsabilité du sang qui serait versé dans la lutte ; l’Angleterre se ment à elle-même. Elle sait bien que le mal a une autre origine. L’agitation peut enflammer les griefs ; elle ne les crée pas. S’il n’y avait pas en Irlande des causes radicales de révolution, M. O’Connell ne serait pas si puissant. En excitant les passions populaires, il pourrait produire une révolte accidentelle ; mais, malgré tout son ascendant et toute son éloquence, il ne réunirait pas toute une nation dans un seul sentiment et dans une seule idée, si ce sentiment et cette idée n’étaient pas déjà au fond des cœurs. Écartons donc, monsieur, les questions de personnes, et sir Robert Peel, et lord John Russell, et M. O’Connell lui-même. Avant eux, il y avait l’Irlande, après eux il y aura encore l’Irlande. J’ai cherché à montrer précédemment que le rappel de l’union entre l’Angleterre et l’Irlande était impraticable, et que lors même qu’il serait praticable, il ne pourrait être que funeste à l’Irlande elle-même. Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à faire, et que l’Irlande,