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REVUE. — CHRONIQUE.

ne pouvant obtenir le rappel, ne puisse pas, ne doive pas obtenir autre chose ? Certainement non. Depuis bientôt trois mois, le parlement anglais s’occupe de l’Irlande. Les discours pleuvent, mais de ce flux de paroles que sort-il ? Rien. Pourquoi ? Est-ce parce qu’on ne sait que faire ? Non c’est parce qu’on ne veut pas, parce qu’on n’ose pas faire. On sait bien où est le mal, mais on a peur du remède. L’Angleterre n’ose pas aborder de front la question principale, la grande difficulté, l’église.

L’église protestante d’Irlande, fons, origo mali ! c’est là qu’est le mal, c’est là qu’est la plaie. L’église protestante est, en Irlande, l’église de l’étranger, le bagage de la conquête, la personnification de plus de quatre siècles de tyrannie. Tant que cet arbre exotique, transplanté par la force sur le sol irlandais, continuera de pomper et d’absorber la substance de tout un peuple qui refuse de s’asseoir à son ombre maudite, tant que sept millions d’hommes verront leur religion nationale insolemment réduite à l’état de servage par le culte de sept cent mille hommes, jamais l’Irlande ne connaîtra la paix, et jamais l’Angleterre, qu’elle le sache bien, ne connaîtra le repos. Un homme qui ne parle pas légèrement, parce que ses paroles ont la plus grande influence, lord John Russell, disait il y a peu de jours dans la chambre des communes : « L’état de l’Irlande n’a jamais été réglé depuis le temps où la fiction de la loi était qu’il n’y avait pas de catholiques, que les protestans seuls existaient aux yeux de la loi, et que la loi ne connaissait pas les catholiques. Les institutions présentes sont encore en grande partie fondées sur cette fiction. Vous avez admis les catholiques au partage des droits politiques et civils. Alors vous devez organiser l’Irlande conformément à l’état politique et civil que vous avez reconnu aux Irlandais par l’acte d’émancipation. »

Et lord John Russell ajoute, avec toute l’autorité de son nom, de son caractère et de son talent, qu’il est absolument impossible que l’église d’Irlande puisse rester constituée comme elle l’est aujourd’hui. Cependant, après avoir fait cette confession, lord John Russell est-il disposé à aller plus loin ? Hélas ! non. Le chef du parti libéral s’arrête en se rappelant qu’il est protestant et qu’il est Anglais. Il ne conclut pas, ou plutôt il conclut en disant qu’il ne veut point détruire la suprématie de l’église établie en Irlande, parce que ce serait mettre en danger la suprématie de l’église établie en Angleterre et de l’église établie en Écosse.

Et quand cela serait, qu’est-ce que cela prouve ? Faudra-t-il donc toujours que l’Irlande paie pour l’Angleterre et pour l’Écosse ? La question de l’église, en Irlande, ne doit-elle pas être traitée purement et simplement comme une question irlandaise ? Aux yeux des partisans de l’égalité religieuse, l’église protestante d’Irlande a le double vice, d’abord de constituer une religion d’état, ensuite de ne représenter que la religion de la minorité. Dans tous les pays où il existe une religion d’état, cette religion a du moins le mérite ou l’excuse d’être celle de la majorité ; l’Irlande seule présente cette anomalie d’une église dominante de droit, et de fait rejetée et détestée par l’immense majorité de la population à laquelle elle est imposée. On dira peut-être que