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patrie et à la ruine de son souverain. Lorsqu’il vit Charles-Emmanuel IV, qui venait de succéder à Victor-Amédée III, obligé d’abandonner ses états de terre-ferme, il se réfugia lui-même à Venise. M. Raymond a conservé des détails touchans sur la pauvreté et la sérénité du noble exilé en cette crise extrême. Logé avec sa femme et ses deux enfans dans une seule pièce du rez-de-chaussée à l’hôtel du résident d’Autriche, qui n’avait pu lui faire accepter davantage, il s’y livrait encore à l’étude, à la méditation, et le soir, quand son hôte (le comte de Kevenhüller), le cardinal Maury et d’autres personnages distingués, venaient s’y asseoir auprès de lui, il les étonnait par l’étendue de son coup d’œil et sa vigueur d’espérance : « Tout ceci, disait-il, n’est qu’un mouvement de la vague ; demain peut-être elle nous portera trop haut, et c’est alors qu’il sera difficile de gouverner. »

Après diverses fluctuations résultant des évènemens, M. de Maistre fut mandé en Sardaigne par son souverain et nommé régent de la grande chancellerie de ce royaume ainsi réduit. — Le 12 janvier 1800, il arriva à Cagliari, la capitale, et y remplit les fonctions multipliées que comportait sa charge jusqu’à ce qu’en septembre 1802 il fut nommé ministre plénipotentiaire à la cour de Saint-Pétersbourg. Durant ce séjour à Cagliari, ses travaux littéraires durent nécessairement s’interrompre ; il trouva pourtant moyen, sinon d’écrire, du moins d’étudier encore. Il y avait à Cagliari, raconte M. Raymond, un religieux dominicain, Lithuanien de nation et professeur de langues orientales. Chaque jour, M. de Maistre avait à peine achevé son repas que le Père Hintz (c’était le nom du savant) arrivait chargé de vieux livres, et des dissertations s’établissaient à fond entre eux sur le grec, l’hébreu, le copte. M. de Maistre y renouvela et y fortifia ses connaissances philologiques déjà si étendues, attentif à remonter sans cesse aux racines cachées et ne séparant jamais de la lettre l’esprit. La matière des Soirées de Saint-Pétersbourg se prépare.

En quittant la Sardaigne, il passa par Rome et y reçut la bénédiction du Saint-Père, lui le plus véritablement romain de ses fils. Arrivé à Saint-Pétersbourg le 13 mai 1803, il n’en devait plus repartir que quatorze ans après, le 27 mai 1817. Tout ce qui nous reste à examiner de sa carrière littéraire est là. S’il ne publia en effet, dans cet intervalle, que l’opuscule sur le Principe générateur des Constitutions politiques, il y composa tous ses autres ouvrages, le Pape, les Soirées (sauf la dernière écrite à Turin), le Bacon, etc., etc. Il était parti seul et demeura ainsi plusieurs années sans avoir près de