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La différence est du mercure au sublimé corrosif. Je ne vous dis rien de l’horrible corruption des esprits ; vous en touchez vous-même les principaux symptômes. Le mal est tel, qu’il annonce évidemment une explosion divine. Mais quand ? mais comment ? Ah ! ce n’est pas à nous de connaître le temps, etc… »

Cette perspective d’une explosion prochaine était devenue son idée fixe. À le voir avec la tête haute toujours découverte, ses beaux cheveux blancs et son verbe ardent, enflammé, il avait l’air d’un prophète : « C’est comme notre Etna, disait un jour un seigneur sicilien qui sortait de causer avec lui, il a la neige sur la tête et le feu dans la bouche ; Pare il nostro Etna : la neve in testa ed il fuoco in bocca. »

Peu de temps avant sa mort, il écrivait à un de ses amis de France : « Je sens que mon esprit et ma santé s’affaiblissent tous les jours. « Hic jacet, voilà ce qui va bientôt me rester de tous les biens de ce monde. Je finis avec l’Europe, c’est s’en aller en bonne compagnie. » — On m’assure pourtant que ce fut six semaines seulement avant sa mort qu’il écrivit ce fameux portrait de Voltaire pour le mettre dans les Soirées, au IVe entretien déjà composé.

Vers la fin de décembre 1820, de graves symptômes se déclarèrent ; sa démarche, ordinairement si ferme et si rapide, devint chancelante, et on n’osait plus le laisser sortir seul : « Nous nous apercevions bien qu’il perdait ses forces, écrivait un témoin ami, mais nous étions loin de le croire en danger ; nous supposions plutôt cet affaiblissement dû à l’âge, dont les effets se hâtaient plus que d’ordinaire et s’accumulaient plus rapidement. Mais lui, quoiqu’il n’eût aucune maladie, il se sentait frappé à mort. Je me rappelle que j’avais commencé son portrait, et que, voulant le mettre dans son costume de chancelier, il me promit de venir, je crois, le jour de l’an où il devait faire sa cour au roi. Il vint en effet, et comme je lui disais qu’il n’aurait pas dû venir ce jour-là, car il paraissait très fatigué d’avoir monté notre escalier, il me répondit, en baissant la voix pour que sa fille qui l’accompagnait ne l’entendît pas « J’ai voulu venir aujourd’hui, car je ne pourrai plus revenir, et cela avec un sourire si calme et si naturel que l’on aurait cru qu’il s’agissait d’un petit secret qui aurait pu causer quelque contrariété. En effet, il cessa de faire des visites ; mais il continuait à s’occuper et à travailler comme à son ordinaire ; il n’avait ni fièvre ni aucune maladie appréciable, seulement un dégoût de la nour-