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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/42

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REVUE DES DEUX MONDES.

les prescriptions de son protecteur, et leva les yeux au plafond d’un air rêveur qui allait fort bien à son expressive physionomie :

— Puisque madame la marquise aime la poésie de M. de Lamartine, dit-il après un instant de réflexion apparente, peut-être aura-t-elle de l’indulgence pour quelques vers que j’ai osé placer sous l’invocation du grand poète, hommage indigne de lui sans doute…

— Je suis tout oreilles, interrompit Mme de Pontailly, qui était devenue d’une humeur radieuse en voyant que son jour de poésie, dont elle avait été sur le point de désespérer, prenait enfin une certaine tournure.

Le vicomte récita de son mieux ses stances à la Mélancolie. Quoiqu’aussi médiocre que puissent l’être d’honnêtes vers d’amateur, ce morceau poétique obtint un succès complet.

— Charmant ! charmant ! dit la marquise en frappant légèrement à plusieurs reprises les bouts de ses doigts l’un sur l’autre.

— Charmant ! charmant ! répétèrent en chœur les assistans, qui intérieurement donnaient le poète à tous les diables.

Pendant que Moréal débitait son élégie, plusieurs membres du cénacle étaient successivement arrivés. En pareil cas, les domestiques avaient une consigne particulière, ils n’annonçaient pas, et chacun savait ce que cela voulait dire. Alors on s’insinuait dans le salon à petit bruit, on saluait en silence la maîtresse de la maison, qui répondait non moins silencieusement par un signe de tête, et l’on se joignait, toujours muet, au groupe des auditeurs. Cette étiquette était rigoureusement observée ; en cette circonstance cependant, un des arrivans la viola ; ce fut André Dornier. À la vue de son rival victorieusement installé à la place la plus enviée du salon et tirant, en manière de feu d’artifice, ses fusées poétiques, l’ex-rédacteur du Patriote recula de surprise et frémit de dépit. Dans son trouble, il heurta une chaise qui tomba sur le parquet.

— Paix donc ! s’écria la marquise en adressant à l’interrupteur un geste d’impatience.

Dornier salua humblement, puis, se remettant de son émotion, il vint se placer en face du poète, qui l’avait aperçu, et essaya, par son regard hostile, d’exercer sur lui la fascination qui soumet, dit-on, le rossignol au serpent. Cette manœuvre n’obtint pour résultat qu’un sourire de mépris qui redoubla la sourde colère de Dornier.

— Ah ! il ne se tient pas pour battu, se dit-il ; soit : guerre à mort !