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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/423

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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

semble-t-il pas qu’au lieu de s’adresser au commerce pour lui prodiguer de fort inutiles leçons, on aurait dû se tourner vers ceux qui font les lois, pour les inviter, non pas à établir des sociétés, non pas même à favoriser l’esprit d’association par des encouragemens, soin superflu lorsque tant d’intérêts particuliers le provoquent, mais à lever les entraves ou les interdictions qui neutralisent à cet égard l’action de l’intérêt privé. Le commerce français a prouvé depuis long-temps qu’il ne serait inférieur en ce point à aucun autre, si on le laissait faire, et que, pour fonder toutes les institutions qui lui manquent, il n’a besoin que d’un peu de cette liberté dont jouissent les Anglais et les Américains.

Il ne faut pas d’ailleurs remonter bien haut pour établir une vérité dont les preuves ont éclaté sous nos yeux d’une manière si désastreuse. Tous ces abus, signalés naguère dans la formation et la conduite des sociétés en commandite par actions, qu’étaient-ils autre chose que des témoignages frappans, d’une part, de l’entraînement des capitaux vers les associations commerciales, de l’autre, des imperfections de la loi ? Ils naissaient tous ou presque tous des efforts tentés par l’esprit d’association pour élargir le cadre d’un système où il se trouve mal à l’aise, pour secouer le joug d’une législation qui le comprime et qui l’étouffe. Est-ce l’esprit d’association qui manquait alors ? Qu’on s’en souvienne, il se manifestait de toutes parts, il débordait partout ; mais la loi le secondait mal, et tenait l’association captive malgré les mœurs. Aussi l’association faisait-elle effort pour se dégager, pour s’échapper des liens qui l’enserraient. Elle tournait la loi, elle la violentait, comme elle en était elle-même violentée ; elle en tourmentait les dispositions et en faussait l’esprit pour la plier, autant qu’il était en elle, à ses convenances et à ses besoins. De cette lutte malheureuse entre l’esprit d’association cherchant à se donner carrière, et la loi qui le comprime, sont sortis, comme de leur source naturelle, tous les désordres dont on s’est plaint.

Ce qui doit frapper d’abord dans le tableau des évènemens de ces dernières années, c’est l’importance extraordinaire que les sociétés en commandite ont acquise, soit par leur nombre, hors de toute proportion avec celui des sociétés d’un autre genre, soit par la grandeur des entreprises qu’elles ont tentées. Si l’on a bien compris ce que nous avons dit précédemment sur la nature toute particulière de cette espèce de société, on a dû voir qu’elle n’était pas réservée à des destinées si hautes. Tel a été cependant l’entraînement vers cette forme particulière de l’association, qu’on a voulu l’appliquer à tout. Elle a tout abordé, tout envahi, et il n’y a pas d’entreprise si vaste qui ne soit tombée dans son domaine. D’où est venue cette prédominance presque exclusive de la commandite ? On l’a déjà compris, de la nécessité. C’est que la société en nom collectif ne pouvant pas, en raison de ses exigences, se prêter aux agrégations nombreuses, et la société anonyme n’étant pas libre, la commandite est demeurée comme la seule porte ouverte à l’esprit d’association quand il s’est exercé en grand. Quiconque a voulu mettre en avant un projet d’une certaine importance réalisable par voie d’association, a dû