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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/44

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REVUE DES DEUX MONDES.

n’est pas encore venu m’amener ma nièce ? Est-ce qu’ils ne seraient pas arrivés aujourd’hui ?

— Ils sont arrivés ce matin, madame, répondit Dornier, charmé d’obtenir un moment d’entretien confidentiel ; mais, avant de venir ici, M. Chevassu a dû faire deux ou trois visites à quelques-uns de ses collègues. Sans doute vous ne tarderez pas à le voir.

— Mon frère se porte bien ? reprit Mme de Pontailly qui, depuis qu’elle était marquise, trouvait le nom de Chevassu déplorablement bourgeois et le prononçait le moins possible.

— À merveille, madame, et mademoiselle votre nièce aussi.

— Il y a six ans que je ne l’ai vue ; elle promettait d’être bien ; aujourd’hui, m’avez-vous dit, elle est fort jolie ?

— Fort belle, dit Dornier d’un air pénétré.

— À qui ressemble-t-elle ?

— Après ce que je viens de dire, ne l’avez-vous pas deviné ?

— Comment ! grave publiciste, de la flatterie ! du madrigal ! C’est Montesquieu écrivant le Temple de Gnide.

En remarquant le sourire prétentieux qui accompagna ces dernières paroles, Dornier se dit : Voilà ma sottise réparée ; en me parlant, elle se trouve de l’esprit.

— Je ne vous demande pas de nouvelles de M. Prosper, continua la marquise en changeant de ton ; je suppose qu’il est toujours aussi mal élevé.

— Il est bien jeune.

— Ce n’est pas une excuse, et mon frère est à son égard d’une faiblesse impardonnable. Depuis qu’il fait son droit, monsieur mon neveu n’est pas venu ici une seule fois sans me faire rougir par ses manières ; parlant haut, contredisant tout le monde, un abominable parfum de cigare ; enfin, et c’est tout dire, toujours crotté. Fi donc ! rien que d’y penser, il me semble sentir l’odeur du tabac. Pour neutraliser cette impression désagréable, j’aurais besoin de respirer encore quelque suave poésie.

À ces mots, Mme de Pontailly se tourna vers le vicomte, qui, quoiqu’il se fût mêlé à la conversation générale, suivait du regard l’entretien de son rival et de la marquise.

— Monsieur de Moréal, lui dit-elle avec une inflexion de voix caressante, je n’ai trouvé à vos vers qu’un seul défaut : c’est d’être trop courts. N’aurons-nous pas encore le plaisir de vous entendre ?

— Mais cette femme est donc la Messaline de la poésie ! pensa le vicomte ; nondum satiata.