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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/450

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Qu’ils y viennent !

— Ils y viendront, gardez-vous d’en douter. Maintenant que vous êtes à Paris, ils vont me laisser tranquille et s’attacher à vous.

— Ils n’auront pas un centime.

— Vous ne connaissez pas les entêtés. Ils sont capables de vous attendre chaque jour à la sortie du Palais-Bourbon et de vous assaillir de leurs doléances devant tous vos collègues.

— Voilà donc le fruit de mes peines ! dit M. Chevassu en levant pathétiquement les mains au plafond ; sans respect, sans pudeur, sans remords, mon propre fils m’expose à devenir la fable de la chambre. Tout à l’heure c’était une pétition ridicule, maintenant c’est une émeute de créanciers.

— Une pétition signée Chevassu ne saurait être ridicule, répliqua froidement l’élève en droit.

— Signée Chevassu ! Voilà ce que je vous défends ; je ne souffrirai pas que mon nom serve de passeport à vos folies.

— Votre nom est le mien, mon père.

— Malheureusement !

— Malheureusement ou heureusement, il m’appartient, et je le prendrai dans ma pétition comme en toute autre circonstance. Voudriez-vous que je fisse un faux ?

— Vous n’écrirez pas cette pétition.

— En effet, je n’aurai pas cette peine, car elle est déjà écrite. L’étudiant mentait magnifiquement, dans l’intention d’accroître, pour en tirer parti, l’anxiété visible de son père.

— Écoutez, Prosper, reprit M. Chevassu en cherchant à reprendre son sang-froid, quelque étourdi que vous soyez, il est impossible que vous ne compreniez pas les inconvéniens de la démarche que vous voulez faire. J’admets que votre pétition soit écrite en termes convenables et mesurés, il n’en est pas moins vrai qu’elle a pour base un fait auquel il est au moins inutile de donner une plus grande publicité.

— Je me glorifierai éternellement de mes soixante heures de cachot, dit avec fierté le jeune républicain.

— Soit ; glorifiez-vous-en, mais sans esclandre. Songez que je suis solidaire de vos actions, et qu’à la chambre un incident frivole suffit parfois pour enlever tout crédit au talent le plus sérieux.

— Je vous jure, mon père, que, loin de vous nuire, ma pétition ne pourra que vous faire honneur.

— Et moi, mon fils, s’écria M. Chevassu hors de lui, je vous jure