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UN HOMME SÉRIEUX.

venir une pomme de discorde ; il n’obtint pas plus de succès près de ses confrères que n’en eut jadis Dindenault près de ses moutons, et la seule récompense de ses efforts fut une admonition assez acerbe, qu’avant de sortir lui adressa le gros député :

— Monsieur Chevassu, lorsqu’on affiche l’espoir de devenir le chef d’un parti politique, il faut savoir être le maître dans sa maison. Je n’ai pas la prétention de diriger mes collègues, mais en revanche pas un de mes quatre fils ne s’aviserait de broncher devant moi. Ma recette est à votre service ; je n’en dis pas autant de mon crédit à la chambre.

— Dornier, suivez ces messieurs, et tâchez de réparer les sottises de ce démon, dit à son ami le député consterné.

Pendant ce temps, Prosper, resté maître du champ de bataille, s’était versé une seconde tasse de thé, et c’est en la savourant tranquillement au coin du feu qu’il attendait la tempête paternelle : elle ne tarda pas.

— Malheureux ! dit M. Chevassu ; vous avez juré d’être mon mauvais génie : un ennemi mortel ne se montrerait ni plus acharné ni plus ingénieux à me nuire. Me voilà, grâce à vous, brouillé avec ceux de mes collègues sur qui je comptais le plus. Qu’allez-vous faire maintenant ? que me gardez-vous encore ? Sans doute votre malfaisante imagination n’est pas à bout.

— Mon imagination n’est pas malfaisante, répondit l’étudiant avec calme ; fougueuse, irritable, à la bonne heure. Il est vrai qu’en présence de pareils êtres, il est difficile…

— Répondez, monsieur, au lieu de discuter, interrompit impérieusement le député ; d’abord, que venez-vous faire ici ?

— Deux choses, reprit Prosper sans s’émouvoir : chercher ma malle et vous demander de l’argent.

— De l’argent ! s’écria M. Chevassu de l’air d’un homme qui hésite à en croire ses oreilles.

— Hélas ! oui, mon père, de l’argent !

— N’avez-vous pas reçu d’avance trois mois de votre pension ?

— Sans doute ; aussi ne s’agit-il pas de ma pension, mais d’un petit arriéré…

— Encore des dettes ! s’écria le député d’une voix tonnante, et vous osez en convenir !

— Il m’en coûte, mais j’aime mieux prendre l’initiative que de vous exposer à rencontrer sur votre passage les laides figures de mes créanciers, car ils sont tous fort laids.