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UN HOMME SÉRIEUX.

dès demain. Par exemple, je vous préviens qu’il est un peu pointilleux au sujet de l’étiquette ; ainsi, en lui parlant, pas de calotte grecque.

— Pour qui me prenez-vous ? répondit le créancier radieux en mettant sa coiffure dans sa poche.

XVII.

Le lendemain, Mme de Pontailly achevait sa toilette, affaire fort importante pour elle surtout depuis quelques jours, lorsqu’on lui annonça la visite de son frère. La physionomie du député était plus sérieuse encore que de coutume, et à cette gravité se joignait une expression irrésolue. Les gens faibles ont du caractère comme les poltrons ont du courage, par accès ; s’ils ne saisissent pas aux cheveux cette vertu d’occasion, ils risquent de la voir disparaître. Déterminé la veille à ôter à sa sœur la garde d’Henriette, M. Chevassu, dès qu’il fut en présence de la marquise, éprouva un embarras qu’il eut peine à dompter, quoiqu’il se le reprochât en secret.

— Elle va monter sur ses grands chevaux, se dit-il, et j’aimerais mieux entendre aboyer après moi toute la meute ministérielle.

— Qu’avez-vous, mon frère ? Quelque chose vous préoccupe, dit Mme de Pontailly en fixant sur lui un regard scrutateur.

Ce ne fut pas sans précautions oratoires que le député aborda le sujet de sa visite. À la fin cependant il s’expliqua, en motivant son intention de mettre Henriette dans un pensionnat, par la crainte d’abuser de la complaisance de sa sœur s’il lui imposait plus longtemps une surveillance qui devait la déranger de ses habitudes. Contre toute attente, cette ouverture ne souleva que peu d’objections, et finit par obtenir l’assentiment de la marquise. Enchantée d’être débarrassée du redoutable voisinage de sa nièce, Mme de Pontailly toutefois ne laissa pas échapper une si belle occasion de déployer les sentimens les plus affectueux ; elle parla de son attachement pour Henriette, du vide qu’elle allait éprouver, et ne négligea rien pour donner au plus spontané des consentemens le mérite d’une concession.

— C’est moi qui suis sacrifiée dans tout ceci, dit-elle ; mais je dois avouer que vous avez raison. L’éducation d’Henriette a besoin d’être complétée sur quelques points, et ma maison offre plus de distractions que de ressources. Cinq ou six mois de pension feront le plus grand bien à notre chère enfant.

— Dornier s’est trompé, pensa M. Chevassu ; ma sœur n’a nulle-