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ment l’intention de contrarier mes projets. Je dirai plus ; son caractère, si absolu jadis, me semble singulièrement amélioré ; maintenant elle est vraiment charmante ; toujours de mon avis !

— Voici un obstacle auquel nous ne songions pas, reprit la marquise ; M. de Pontailly raffole de sa nièce ; en apprenant que vous voulez nous l’enlever, il va jeter les hauts cris.

— Je crois avoir le droit de me passer de l’agrément de votre mari, répondit d’un air gourmé M. Chevassu.

— Assurément vous en avez le droit, mais vous connaissez sa vivacité. Pour éviter une discussion désagréable, vous feriez peut-être bien d’emmener Henriette, maintenant qu’il est sorti.

— J’aurais l’air de le craindre.

— Au contraire, terminer l’affaire en son absence, n’est-ce pas lui montrer que vous êtes décidé à n’admettre aucun contrôle dans l’exercice de votre puissance paternelle ?

— Sous ce point de vue, vous avez raison, répondit le député, flatté dans sa faiblesse. Faites prévenir Henriette, je l’emmènerai à l’instant même.

Une demi-heure après, M. Chevassu et sa fille, assis l’un près de l’autre dans une voiture de place, se dirigeaient, d’après l’indication de la marquise, vers un pensionnat réputé pour la régularité de sa discipline, et situé dans le haut du faubourg du Roule. Étourdie par la brusquerie de cette espèce d’enlèvement, Henriette n’essaya pas de résister à la volonté de son père, et garda en chemin le plus morne silence.

— Me voici donc au couvent ! se dit-elle en arrivant à la pension. À cette pensée, le cœur de la jeune fille se remplit soudain d’une de ces chaudes indignations d’où sort parfois la révolte.

Après le départ de sa nièce, Mme de Pontailly, au contraire, ressentit un bien-être si prononcé, que son amour-propre finit par en souffrir.

— En vérité, se dit-elle, je fais un peu trop d’honneur à cette petite fille. Que m’importe son éloignement ou sa présence ? Une femme comme moi inspire de la jalousie et n’en éprouve pas.

La marquise alors reporta sa pensée sur le jeune poète dont elle méditait de devenir la muse, et une agréable rêverie lui fit bientôt oublier l’idée mortifiante qui avait un instant effleuré son esprit.

En apprenant le départ d’Henriette, M. de Pontailly entra dans une si franche colère, que pendant un instant il y eut lieu de craindre une attaque d’apoplexie.

— Calmez-vous, mon ami, dit la marquise, qui ne remarqua pas