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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/458

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surtout, c’était la clairvoyance de son mari, à qui, d’après l’expérience du passé, elle n’eût jamais supposé le don de lire ainsi dans les cœurs.

— Heureusement, ne put-elle s’empêcher de se dire, cette perspicacité lui est venue un peu tard.

— Vous ne répondez pas, madame, reprit le vieillard après un instant de silence.

— Que puis-je répondre à de pareilles folies ? dit la marquise, déjà redevenue maîtresse d’elle-même. Moi, jalouse de ma nièce ! moi, chercher à plaire à M. de Moréal ! En vérité, votre imagination me prête là des sentimens…

— Peu dignes de vous, j’en conviens, mais, par malheur, nullement imaginaires. Eh quoi ! madame, ne comprenez-vous pas que vous jouez un rôle fâcheux ? À l’âge où l’expérience doit être arrivée, pourquoi vous exposer à un avertissement dont je regrette la sévérité ? Que sert votre esprit, et vous en avez beaucoup, s’il ne vous dit pas qu’à part toute autre considération vous n’avez à recueillir, dans la lutte où vous vous engagez, que déceptions, mécomptes et regrets ? Je suis un soldat et je dois avoir mon franc parler. On a beau mettre des fleurs dans ses cheveux et des robes roses, on ne répare pas des ans l’irréparable outrage et, mordieu ! puisque le vin est tiré, je vous dirai toute ma pensée. Lorsque nous nous sommes mariés, j’avais l’âge que vous avez maintenant ; or, s’il m’en souvient, vous me trouviez vieux.

En thèse générale, avec les femmes, il est plus prudent d’avoir tort que d’avoir raison. Que si, par hasard, on se trouve dans ce dernier cas, on ne saurait y apporter trop de tact, de ménagement et d’humilité. Pour avoir oublié cette sage maxime, M. de Pontailly compromit une excellente position, et perdit le fruit d’une victoire presque gagnée. Froissée dans son amour-propre, la marquise pensa que la rude franchise du vieil émigré compensait et au-delà les tendres peccadilles qu’elle-même pouvait avoir à se reprocher, et, dans cette espèce de compte courant qu’une femme ouvre toujours avec son mari, elle se trouva créancière de débitrice qu’elle était incontestablement. Son orgueil révolté dissipa d’un souffle subit les frémissemens de sa conscience, et sa tête, qui se courbait déjà sous le poids accusateur des souvenirs, se releva fièrement avec la susceptibilité de l’innocence outragée.

— Monsieur, dit-elle d’un air dédaigneux, vous auriez réellement le droit d’accuser mon esprit, si je descendais à répondre à des incul-