Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/459

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
453
UN HOMME SÉRIEUX.

pations sans dignité comme sans justesse. Vous pouviez, ce me semble, me dire que je vous parais vieille et laide, sans appeler à l’appui de votre opinion des suppositions aussi gratuites qu’injurieuses. De pareilles discussions ne peuvent convenir à mon caractère, et, plutôt que de lutter avec vous d’ironie, je vous cède la place. Mme de Pontailly se leva et se dirigea vers la porte d’une allure si fière, que le vieillard interdit n’essaya pas de s’opposer à sa retraite. Pourtant, au moment où il la vit près de disparaître, il tenta un suprême effort.

— Mais enfin, s’écria-t-il, où est Henriette ?

— Demandez-le à mon frère, répondit-elle d’un air royal. Après le départ de la marquise, M. de Pontailly demeura un instant déconcerté.

— Les femmes, se dit-il enfin, sont une énigme indéchiffrable. Lorsqu’on ne les comprend pas, elles vous accusent d’inintelligence ; les devine-t-on, au contraire, elles vous trouvent impertinent. Comment faire ?

La question était ardue, et il n’appartenait pas à un homme de soixante-cinq ans d’y répondre. Après avoir quelque temps réfléchi, le marquis pensa qu’il était opportun de consulter Moréal, plus intéressé que personne à résoudre une difficulté de cette nature, et il s’achemina aussitôt vers l’hôtel de Castille.

Un instant avant de recevoir la visite de M. de Pontailly, Moréal avait vu entrer chez lui Prosper Chevassu. L’élève en droit était venu mettre en réquisition, sans la moindre gêne, la complaisance de son nouvel ami.

— Vous aimez ma sœur, avait dit Prosper ; donc vous m’appartenez corps et ame, et je vous déclare que je ne vous ferai pas grace du moindre iota de vos devoirs. Vous allez d’abord me donner un cigare, puis nous irons ensemble courir les carrossiers. Vous m’aiderez de vos conseils dans le choix de mon tilbury.

Le marquis trouva les deux jeunes gens fumant de compagnie si paisiblement, qu’il se courrouça en pensant à la scène orageuse à laquelle il venait de participer.

— Les jouvenceaux d’aujourd’hui sont charmans, dit-il d’un air irrité ; ils fumeraient sur les débris du monde.

Quid novi, avuncule carissime ? demanda l’étudiant en jetant son cigare.

Quid novi ? répéta le marquis avec brusquerie ; ta sœur est enlevée, voilà la nouvelle.