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— Vous croyez qu’elle m’a regardé ? dit le vicomte en essayant de dissimuler son ravissement.

— Comme si vous ne vous en étiez pas aperçu, hypocrite ! Et votre rival ! quel magnifique dédain en répondant à son salut ! Décidément, la partie est égale, trois contre trois !

— Votre neveu est contre moi, c’est-à-dire contre nous, ajouta Moréal en se reprenant.

— Le jacobin Prosper ! de quoi se mêle-t-il ? Je me charge de le mettre à la raison ; j’ai une revanche à prendre avec la république !


M. Chevassu aperçut en ce moment le vicomte ; à cette vue, il fronça le sourcil et d’un signe appela Dornier.

— Pourquoi, lui dit-il, ne m’avez-vous pas prévenu que je trouverais ici M. de Moréal ?

— C’est la première fois que je l’y vois, répondit Dornier ; vous devez croire que sa présence ne me plaît pas plus qu’à vous-même. Je ne sais comment il s’y est pris pour s’introduire ici. Quand je suis arrivé, il était là près de la cheminée, déclamant comme un histrion. Il paraît qu’il fait des vers.

— Ah ! il fait des vers ? dit le député d’un air dédaigneux.

— Détestables, j’ose le dire.

— Bons ou mauvais, peu importe ; pour moi, un individu qui fait des vers est jugé. C’est comme cette barbe qui lui couvre la figure, est-ce convenable ? est-ce décent ? Il n’y a rien de sérieux dans cet homme-là.

— Vous savez qu’il chante ? dit Dornier empressé d’ajouter ce nouveau délit au dossier criminel de son rival.

— Oui, c’est un gazouilleur de romances. Il faut que je demande sur-le-champ à ma sœur comment il se fait qu’elle reçoive chez elle ce monsieur.

Le député s’approcha de Mme de Pontailly et lui adressa quelques paroles à voix basse.

— Pourquoi je reçois M. de Moréal ? répondit la marquise du même ton, mais avec un accent de hauteur, et pourquoi ne le recevrais-je pas ?

— Après ce que je vous ai écrit il y a deux mois, il me semble…

— Il me semble, à moi, que je suis la maîtresse de recevoir dans mon salon qui je veux. Vous n’avez pas même daigné me demander un conseil dans la lettre dont vous parlez ; vous voudrez bien me permettre de suivre votre exemple.