Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
UN HOMME SÉRIEUX.

Voyant au ton de sa sœur qu’il n’obtiendrait rien d’elle, M. Chevassu s’éloigna d’un air mécontent.

— Eh bien ! lui demanda Dornier, Mme de Pontailly vous a-t-elle expliqué…

— Je me chargerais plutôt de faire passer à la chambre un budget de deux milliards que d’arracher à ma sœur une parole de bon sens quand elle s’est mis quelque sornette en tête.

La porte du salon s’ouvrit, et au milieu de cette réunion de personnes soignées dans leur costume, polies dans leurs manières, châtiées dans leur langage, apparut soudain un être brusque, négligé, professant autant de mépris pour l’euphuisme que pour l’étiquette. C’était Prosper Chevassu.

L’étudiant se fraya un passage à travers les assistans, dont quelques-uns, auxquels il était inconnu, le regardaient avec surprise, ne concevant pas que cette figure incongrue fut admise dans le salon de Mme de Pontailly. Enchanté de l’effet qu’il produisait et dont il espérait qu’enragerait sa tante, Prosper s’avança vers elle, et, comme s’il eût été entraîné par la tendresse du népotisme, il se précipita dans ses bras. La marquise abhorrait, en public surtout, les scènes d’effusion, et tout ce que le prince de Condé parlant de Pichegru nommait épanchement de corps-de-garde. Elle se jeta donc en arrière pour se soustraire à cette inconvenante accolade qu’elle n’évita pourtant qu’en partie.

— Monsieur, dit-elle alors à son neveu en lui lançant un regard de majestueux courroux, il paraît que l’école de droit n’est pas celle du savoir-vivre. Ce n’est point ainsi qu’on aborde une femme. On peut lui baiser la main lorsqu’elle daigne vous la présenter, mais ces embrassades, même quand on est parent, sont d’un goût détestable.

— Ne vous fâchez pas, ma chère tante, répondit Prosper sans s’émouvoir ; je croyais qu’on ne baisait la main des femmes que lorsqu’elles étaient vieilles, et vous êtes si jeune !

— Et vous si mal élevé, dit la marquise en baissant la voix, que je rougis d’être votre tante.

— Oh ! vous rougissez, reprit l’étudiant, qui peut-être allait faire quelque impertinente allusion aux petits artifices de toilette qu’emploie parfois une femme aux approches de la cinquantaine, mais un regard suppliant de sa sœur l’arrêta. — Me permettez-vous de dîner avec vous dans ce modeste négligé ? dit-il en revanche pour attirer l’attention de sa tante sur un costume où la fantaisie l’emportait sur la correction.