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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/460

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Enlevée ? s’écrièrent à la fois Moréal et Prosper.

— Enlevée, mes maîtres, et le ravisseur ne vous craint ni l’un ni l’autre.

— C’est donc mon père ? reprit l’élève en droit.

Dixisti ; tu vois que je n’ai pas non plus oublié mon latin. M. de Pontailly raconta ce qui venait de se passer.

— Il y a du Dornier là-dessous, dit Prosper, qui avait écouté son oncle avec beaucoup d’attention.

— Je vois avec plaisir que tu commences à rendre justice à ton ancien ami, reprit le vieillard.

— Mon ancien ami n’est ni plus ni moins qu’un homme à pendre, dit l’élève en droit d’un air de profonde conviction. Ce matin je déjeunais avec plusieurs étudians de première année. La conversation est tombée par hasard sur Dornier, et chacun de crier haro ! L’un l’avait connu à Saint-Étienne journaliste ministériel ; l’autre l’avait vu à Bourges légitimiste endiablé ; un troisième, invoquant ses souvenirs de Colmar, le disait bonapartiste ; sans parler de moi, qui le croyais républicain. Bref, il a été reconnu à l’unanimité que Dornier, renégat de toutes les opinions, méritait la corde.

— En attendant, si l’on n’y met ordre, il deviendra ton beau-frère.

— J’y mettrai ordre, répondit énergiquement Prosper.

— Te charges-tu aussi de faire entendre raison à ton père ?

— Ceci devient délicat. À moins d’être un monstre d’ingratitude, je ne puis pas en ce moment faire de l’opposition contre mon père ; il paie mes dettes.

— C’est sans réplique. Eh bien ! Moréal, vous qui n’êtes pas le moins intéressé dans tout ceci, n’avez-vous pas un conseil à nous donner ?

— Vous ne nous avez pas dit où M. Chevassu avait conduit Mlle Henriette, répondit le vicomte, qui semblait perdu dans ses réflexions.

— Le sais-je moi-même ? C’est un coup monté entre Mme de Pontailly et son frère. On a séquestré Henriette pour briser sa résistance ; peut-être ne saurons-nous où elle est que lorsqu’elle aura consenti à épouser Dornier.

— Épouser Dornier ! s’écria Prosper ; j’aimerais autant qu’elle épousât le diable en personne.

— Comment l’empêcher ?

— Il y a plusieurs moyens. D’abord, je puis donner une paire de