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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/470

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REVUE DES DEUX MONDES.

le plus agréable empressement. L’hôtel était petit, mais charmant, à l’entendre ; l’avenue Sainte-Marie était fort bien habitée, l’air excellent, on avait l’eau de la Seine, et il y avait dans le jardin des espaliers qui cassaient sous les fruits. À vrai dire, le seul inconvénient était le voisinage du pensionnat de Mme de Saint-Arnaud. Il fallait convenir que ces demoiselles faisaient un peu de bruit aux heures de récréation ; mais, après tout, cela ne devait pas paraître un trop grand désagrément à un jeune homme ; car parmi les pensionnaires il y avait de fort jolies personnes, et du belvédère de l’hôtel on les voyait jouer, courir, folâtrer dans leur jardin ; c’était amusant.

— Ces vieilles femmes ont un instinct diabolique, se dit Moréal ; voici une sorcière qui m’a déjà deviné.

Le vicomte visita la maison, feignit de trouver les chambres en bon état, le loyer modéré, et, tout en paraissant écouter les prolixes explications de la portière, arriva avec elle au belvédère.

— Vous pouvez redescendre à votre loge, lui dit-il alors, j’ai quelques mesures à prendre pour le placement de mes meubles, et puisque la maison me convient, je vais m’en occuper tout de suite.

Moréal mit deux pièces de cinq francs dans la main de la vieille femme, qui, par manière de remerciement, ouvrit une petite croisée en ogive à vitraux coloriés.

— Voyez quelle jolie vue, dit-elle avec une finesse sournoise.

Le vicomte s’approcha de la fenêtre, mais il se retira aussitôt. La vivacité de ce mouvement fit grimacer un sourire à la rusée portière, qui s’éloigna discrètement en pensant qu’elle allait avoir le meilleur des locataires, un jeune homme riche et amoureux.

XIX.

Après le départ de la vieille, Moréal se rapprocha de la fenêtre ; mais il ne fit que l’entrebâiller, de peur d’être aperçu du dehors. On avait tellement économisé le terrain dans la bâtisse du pavillon que le belvédère n’était qu’à une fort petite distance de la muraille du pensionnat, et comme il la dominait d’une quinzaine de pieds, des fenêtres on découvrait en grande partie le jardin. Pour remédier à cet inconvénient, qui ne remontait qu’à quelques années, Mme de Saint-Arnaud avait fait planter des peupliers derrière son mur ; mais les arbres étaient encore trop jeunes pour remplir leur destination, et, en attendant qu’ils pussent servir de rideau, les tessons de bouteilles