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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/471

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UN HOMME SÉRIEUX.

formidablement enchâssés dans le chaperon de la muraille n’offraient qu’un vain obstacle à la curiosité des habitans de la petite maison.

Le jardin, sur lequel planaient en ce moment les regards de Moréal, consistait en une pelouse à peu près ronde, bornée en face du belvédère par le bâtiment du pensionnat, à droite du côté de la ruelle par une allée de tilleuls, et à gauche par un mur chargé d’espaliers, dont l’espièglerie des pensionnaires ne respectait pas toujours les produits. À travers quelques arbres épars sur le gazon se montraient çà et là des escarpolettes, une balançoire, et par-dessus tout le reste une espèce de mât de hune destiné à des exercices gymnastiques, et qui annonçait que Mme de Saint-Arnaud ne restait pas en arrière des progrès du siècle. L’heure de la récréation était sonnée. Sous les arbres dépouillés par l’hiver, sur le gazon également flétri, voltigeait un essaim de jeunes filles dont plusieurs justifiaient les éloges de la vieille portière. Les plus alertes s’étaient emparées des escarpolettes et de la balançoire ; les plus courageuses se suspendaient, gracieux matelots, aux cordages de la machine gymnastique ; d’autres jouaient aux quatre coins sous les tilleuls ; le long du mur garni d’espaliers, les plus jeunes sautaient à la corde ou roulaient leurs cerceaux ; quelques autres enfin, dédaignant ces jeux puérils, se promenaient deux à deux à l’écart et semblaient échanger d’importantes confidences. Malgré le frais attrait de ce tableau, le vicomte n’y accorda que peu d’attention. Son œil allait rapidement d’un groupe à un autre sans se fixer à aucun, et fouillait avec une sorte d’anxiété les moindres recoins. À la fin, le désappointement qui assombrissait déjà sa physionomie fit place à une expression de joie ; il venait d’apercevoir Henriette et sa tante marchant lentement dans la partie la plus solitaire du jardin. Nous le laisserons à son observatoire pour assister à leur conversation.

La femme la moins crédule l’est toujours sur un point, c’est en ce qui concerne sa beauté. Naturellement disposée à s’en exagérer la puissance, elle croit sans peine aux passions qu’elle inspire, et quelquefois même à celles qu’elle n’inspire pas. C’est ce qui venait d’arriver à la marquise, malgré son expérience et sa finesse. Abusée par la sentimentale hypocrisie du vicomte, elle ne doutait plus du triomphe. Prudente jusque dans son illusion, elle voulut sans retard briser le lien qui attachait à une autre femme son futur captif. Elle arriva donc au pensionnat dans une de ces dispositions impitoyables qu’ont entre elles les femmes lorsqu’elles sont rivales ; mais, loin de