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UN HOMME SÉRIEUX.

Allons, je vois avec plaisir que tu n’es pas aussi malade que tu crois ; nous te guérirons.

— Mais cette bague ? dit Henriette avec impatience.

— Ouvrons-la ; cela t’aidera peut-être à rappeler tes souvenirs. La marquise ouvrit l’alliance, et, la présentant ensuite à sa nièce d’un air railleur :

— Maintenant la reconnais-tu ? dit-elle.

Henriette prit l’anneau et l’examina sans manifester d’abord d’autre émotion que celle d’une vive curiosité ; elle lut le mot gravé à l’intérieur d’un des cercles, déchiffra les deux lettres enlacées, et tout à coup bondit sur le banc comme en sursaut.

— Qui vous a remis cette bague ? dit-elle d’une voix à peine distincte.

— Est-il au monde deux personnes qui eussent pu m’en remettre une pareille ? répondit la marquise, qui se méprit à l’émotion de sa nièce.

— Mon Fabien ! s’écria Henriette avec transport ; ô ma tante, que vous êtes bonne ! Et moi qui vous accusais ! Mais aussi pourquoi me faire acheter ce bonheur en me perçant l’ame, comme vous venez de le faire tout à l’heure ? Si vous saviez combien je vous trouvais méchante !

— Devient-elle folle ? pensa Mme de Pontailly, qui ne put se défendre d’une sorte d’inquiétude ; ces têtes de dix-huit ans sont si exaltées ! On a vu des exemples de folie causée, à cet âge, par un chagrin subit.

— C’est que j’étais dupe de votre comédie, reprit la jeune fille avec une véhémence propre à redoubler les appréhensions de la marquise. Par orgueil, je cherchais à faire bonne contenance ; au fond, je me sentais mourir. Mais je vous pardonne, ma bonne tante ; vous ne croyiez pas sans doute me faire tant de mal. D’ailleurs, n’est-il pas juste de payer d’un peu de souffrance un si grand bonheur ?

Henriette regarda la bague d’un œil ravi, et la porta ensuite avec passion à ses lèvres.

— Il doit y avoir un médecin attaché au pensionnat, se dit la marquise, qui se leva véritablement effrayée.

— Oh ! restez, dit la jeune fille en saisissant le bras de sa tante si énergiquement, qu’elle la contraignit de se rasseoir ; nous sommes si bien ici ! Vous avez donc vu mon pauvre Fabien ? Comme il a dû avoir du chagrin en apprenant que je n’étais plus chez vous ! Mais vous êtes si bonne ! vous l’aurez consolé, et puis il a le cœur si