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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/474

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Que vous a donc dit M. de Moréal ? demanda Henriette, troublée par ces paroles menaçantes.

M. de Moréal, quoique jeune encore, n’est plus à l’âge où l’on ne voit dans la vie que l’amour. Des idées plus sérieuses que les tendres folies du cœur l’occupent en ce moment ; il se sent du talent, et il lui vient de l’ambition. Or, quand l’ambition vient à un homme, c’est un signe infaillible que chez lui l’amour s’en va.

— Voulez-vous dire qu’il ne m’aime plus ? dit impétueusement la jeune fille.

— Je n’ai pas dit cela ; mais ce que je ne puis ni ne dois te cacher, c’est que M. de Moréal me paraît loin d’accorder à votre petit roman sentimental l’importance que tu sembles y attacher encore. Lorsque je lui en ai parlé, il a souri sans embarras, et, puisqu’il faut tout dire, il a prononcé le mot d’enfantillage.

— Vous me trompez, ma tante, s’écria Henriette, dont les joues se couvrirent de la rougeur de l’indignation ; Fabien parler ainsi de notre amour ! c’est faux.

— J’excuse ta vivacité, car je comprends ton chagrin.

— Mon chagrin ? je n’en ai point. Je crois à l’amour de Fabien comme je crois à la bonté de Dieu. Lui ingrat ! lui parjure ! c’est faux, vous dis-je ; jamais je ne vous croirai.

La marquise sourit avec une sorte de pitié.

— Si je te donnais une preuve de ce que je viens de dire, reprit-elle, me croirais-tu ?

— Une preuve ! dit Henriette devenue pâle ; parlez.

Mme de Pontailly parut éprouver l’hésitation que montre parfois un chirurgien chargé d’une opération cruelle ; elle murmura les mots de nécessité, de devoir, et finit par ôter un de ses gants. Ce préliminaire accompli, elle tira lentement du doigt où elle l’avait placé l’anneau qu’elle avait pris au vicomte, et, le présentant à sa nièce d’un air glacial :

— Connais-tu cette bague ? lui dit-elle.

— Cette bague ! répéta Henriette, qui regarda successivement l’anneau et sa tante avec étonnement.

— Tu ne la reconnais pas ? reprit la marquise, surprise à son tour.

— Non.

Mme de Pontailly laissa échapper un rire d’ironie.

— Et l’on parle de la mémoire du cœur ! dit-elle. Cette alliance, il est vrai, ressemble à beaucoup d’autres ; mais j’avais la naïveté de croire qu’un instinct secret te la ferait reconnaître entre mille.