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UN HOMME SÉRIEUX.

pour s’affliger, trop fière toujours pour se laisser intimider, Henriette attendit la lutte sans la provoquer, mais sans la craindre.

Après un assez long silence, Mme de Pontailly se retourna tout à coup vers sa nièce.

— Rendez-moi cette bague, dit-elle brusquement.

— Jamais, répondit la jeune fille en passant l’anneau à l’un de ses doigts.

— Rendez-moi cette bague, reprit la marquise d’une voix tremblante de courroux.

— Essayez de la prendre, dit Henriette, qui ferma sa main et l’étendit hardiment vers sa tante.

Emportée par un de ces accès de violence jalouse qui ôtent parfois toute retenue aux caractères les plus maîtres d’eux-mêmes, Mme de Pontailly saisit la main de sa nièce et la froissa rudement dans les siennes en s’efforçant de l’ouvrir ; mais mieux eût valu tenter d’arracher à Milon sa grenade. Henriette, dont l’énergie nerveuse se trouvait encore exaltée par l’émotion d’une pareille scène, résista victorieusement aux efforts de sa tante ; le bras tendu, la taille cambrée, la tête haute, les lèvres entr’ouvertes par un dédaigneux sourire, les narines agitées de cet orgueilleux frémissement qu’on admire dans la statue d’Apollon Pythien, la jeune fille semblait jeter un défi au monde entier. Dans cette fière attitude, elle leva les yeux au ciel comme pour le prendre à témoin de la justice de sa cause, et, par un de ces hasards qui protègent souvent les amans, son regard s’arrêta sur le belvédère du pavillon qui se trouvait en face d’elle. En ce moment, la marquise avait la tête baissée. Tout amoureux connaît le prix de l’occasion. Prompt comme l’éclair, Moréal ouvrit la fenêtre derrière laquelle il se tenait caché, et montra aux yeux éblouis de la jeune fille un visage que certes elle eût trouvé moins beau, si c’eût été celui d’un ange. La commotion fut si vive, qu’Henriette, se levant d’un bond électrique, faillit renverser Mme de Pontailly.

Le vicomte mit un doigt sur ses lèvres, puis il repoussa la fenêtre et disparut.

— Ô vision céleste ! s’écria Henriette en joignant les mains dans une douce extase.

— Mademoiselle, dit la marquise qui, voyant l’inutilité de ses efforts, en comprit l’inconvenance et essaya de reprendre son sang-froid, cette pension est trop douce pour un dragon de votre espèce ; c’est au couvent des dames de Saint-Michel que votre père aurait