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dû vous faire enfermer. Il en est temps encore, et vous apprendrez bientôt ce qu’il en coûte de me manquer de respect.

L’idée d’avoir son amant pour témoin trempa d’une énergie nouvelle le courage de la jeune fille.

— Vous manquer de respect ? répondit-elle en arrêtant sur la marquise le plus ferme regard, et quel respect vous dois-je à vous qui devriez être pour moi une seconde mère et en qui je n’ai trouvé qu’une ennemie ? Je ne demandais qu’à vous aimer, mais peut-on aimer ceux qui vous haïssent ? et je sais que vous me détestez. Que vous ai-je fait cependant ? M. de Moréal m’aime, est-ce là mon crime ?

En quelques minutes, la jeune fille avait acquis dix années d’expérience, et la pensionnaire était devenue une femme. Maintenant elle lisait dans le cœur de sa tante, et ne voyait plus en elle qu’une rivale : odieuse découverte qui devait révolter les purs et nobles instincts d’un cœur de dix-huit ans.

— Je suis bien coupable en effet, reprit Henriette avec ironie en voyant que la marquise gardait un silence où il entrait plus de confusion que de remords ; je refuse d’épouser un homme qui n’aime en moi que ma fortune, et je garde religieusement mon cœur à celui qui m’en paraît le plus digne. Oh ! c’est là une audace sans exemple. Il faut vous y habituer pourtant, car je ne changerai pas. Si j’ose résister à mon père parce que ses ordres me semblent injustes, ce n’est pas pour fléchir devant vous qui n’avez aucun droit à mon obéissance. Oui, j’en atteste la devise de cette bague chérie, c’est pour toujours que j’aime ; pour toujours, entendez-vous, mon Fabien ?

Entraînée par une émotion irrésistible, Henriette s’était tournée vers le belvédère ; elle y fixa les yeux avec amour et prononça ces dernières paroles d’une voix si vibrante, que le vicomte put l’entendre et reçut ainsi la réponse à son anneau.

La marquise ne vit dans la pantomime de sa nièce qu’un de ces mouvemens d’exaltation familiers aux imaginations ardentes qui souvent semblent apercevoir réellement ce qu’elles ne font que rêver.

— Heureusement tout le monde a quitté le jardin, dit-elle d’un air sombre, sans cela on vous croirait folle ; rentrons, mademoiselle. En attendant que votre père ait pris à votre égard un parti définitif, je vais vous recommander à Mme de Saint-Arnaud.

Vaincue dans le combat qu’elle venait de livrer, Mme de Pontailly employait en ce moment une énergie surhumaine à dissimuler son humiliation et sa fureur. Au prix d’une torture d’autant plus poi-