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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/480

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REVUE DES DEUX MONDES.

de l’autre, un père vénérable qui paie mes dettes. À droite l’amitié, à gauche la reconnaissance, quelle situation dramatique !

— Au fait, bavard, dit le marquis.

— Voici le fait. Quand je me suis permis de demander à mon père, avec tout le respect convenable, où il avait conduit Henriette : — Je vous défends de m’adresser, à l’avenir, la moindre question à ce sujet, m’a-t-il répondu de sa voix de tribune ; votre sœur est dans un lieu où l’on saura la réduire à l’obéissance qu’elle me doit, et, si vous-même vous ne changez pas de conduite, un sort pareil vous attend. — Ce sort pareil, c’est, à ce que j’ai cru comprendre, quelque maison de correction ; aussi je cours encore.

— Je ne suis pas plus avancé que toi, dit à son tour M. de Pontailly ; pas de nouvelles d’Henriette. En reparler à ma femme, ce serait peine perdue, et Dornier, que je n’ai vu que ce matin, a feint de ne rien savoir. Il avait l’air de bonne foi, mais il est si roué, que je ne m’y fie pas. Et vous, Moréal, avez-vous été plus heureux que nous ?

— Toutes mes démarches ont été inutiles, répondit le vicomte d’un air de tristesse, et jusqu’ici je n’ai pu parvenir à découvrir où l’on a conduit Mlle Henriette.

Nous expliquerons plus tard les raisons qui engageaient le vicomte à déguiser ainsi la vérité.

— Mordieu ! reprit énergiquement le vieil émigré, ceci ressemble à la retraite de Biberach ; nous tournons à la déroute.

— Dornier a menti comme un jésuite qu’il est, dit Prosper ; c’est lui qui mène toute cette intrigue. Que je devienne marquis, si je ne l’écrase pas sous mon tilbury la première fois que je le rencontrerai !

— Écrase-le si tu veux, mais respecte les marquis, répondit M. de Pontailly, qui, malgré sa mauvaise humeur, ne put s’empêcher de sourire de la boutade de son neveu.

— Pardon, mon oncle, dit l’étudiant en souriant à son tour ; vous portez si modestement vos trente-deux quartiers, que je n’y pense jamais.

— Tu n’as pas tout-à-fait tort de traiter Dornier de jésuite, reprit le marquis ; tout à l’heure il a joué devant moi une petite scène digne de M. Tartufe, et qui, par parenthèse, pourra nous coûter un peu cher à toi et à moi.

— Qu’est-ce donc ? dirent à la fois les deux jeunes gens.

— Je vais vous conter cela ; mais il faut reprendre les choses d’un