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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/481

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UN HOMME SÉRIEUX.

peu haut. D’abord, continua le vieillard en s’adressant à Prosper, il paraît qu’avant-hier au soir il y a eu chez ton père une réunion de députés dans laquelle un étourdi de ma connaissance, qui ne respecte rien, n’a pas craint de jeter la discorde.

— Je voudrais que vous eussiez été là, dit Prosper en partant d’un éclat de rire, la scène vous aurait amusé. Nos honorables représentans étaient à peindre lorsque j’ai eu mis le feu à mon gros canon : la république ! il fallait les voir prendre leurs chapeaux. C’est alors que vous auriez pensé à votre déroute de Biberach.

— La chose n’a pas paru le moins du monde plaisante à ton père : il y avait là, en effet, de quoi le brouiller avec ses collègues ; mais Dornier, qui paraît tenir les ficelles de ces mannequins, s’est chargé de tout raccommoder ; seulement, comme je viens de le dire, c’est toi et moi qui paierons les frais. Pour toi, c’est assez juste ; qui casse les verres doit les payer ; mais moi, mordieu ! il me paraît un peu dur de jeter cinquante mille francs par la fenêtre parce que ton père est un ambitieux, et ta tante une femme que Mme de Staël empêche de dormir.

— Mais, mon oncle, vous ne nous dites pas de quoi il est question.

— De quoi peut-il être question, sinon de ce maudit journal, que Dieu confonde ! et dont tu t’es engoué le premier, feuilletoniste manqué ? Dornier a démontré à ton père que la seule manière de rattraper les députés réfractaires était de les enchevêtrer du susdit journal, sans leur laisser le temps de se reconnaître, et ton père, leurré de l’espoir de devenir un second Mirabeau, tu sais que c’est son faible, lui a remis pour les premiers frais, en bons billets de banque, cinquante mille francs qu’il a retirés, ces jours derniers, des fonds publics.

— Un homme que je croyais un Cincinnatus ! dit Prosper.

— Passons au second volume, reprit le marquis ; il n’est pas le moins curieux. Mme de Pontailly et Dornier ont eu hier au soir, toujours au sujet de ce diabolique journal, une conférence au sortir de laquelle ton ancien ami a emporté dans son portefeuille cinquante mille autres francs, que ma femme m’avait fait retirer, il y a quelque temps, de la rente de Naples, sous le prétexte d’acheter du 5 pour 100.

— Mais on serait plus en sûreté dans une horde de bohémiens qu’avec cet hypocrite-là ! s’écria de nouveau l’élève en droit.

— En sorte qu’à l’heure qu’il est, mons Dornier a en caisse cent mille francs sortis de notre bourse. Maintenant de deux choses l’une :