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la physionomie de son interlocuteur. Entre nous, mon frère n’a pas un caractère très ferme ; une fois déjà il s’est refroidi à votre égard ; on peut le circonvenir et l’indisposer tout-à-fait contre vous. Mon neveu vous a pris subitement en antipathie, et il le dit à qui veut l’entendre. M. de Moréal est un homme d’un machiavélisme redoutable, et M. de Pontailly le protége ouvertement. Ma nièce enfin a pour le moment la tête pleine de folles idées. Il n’y a donc en réalité que moi qui sois franchement de votre parti.

— Cela suffit, madame la marquise, pour que je sois sûr du succès.

— J’en doute, moi ; car enfin, si Henriette s’obstine à ne pas vouloir vous épouser, comment l’y contraindre ?

Dornier ne répondit pas, et à son tour il regarda la marquise fixement.

— Si ma nièce vous aimait et que les obstacles vinssent de sa famille, reprit-elle en ayant l’air de plaisanter, la chose irait d’elle-même. Une petite promenade sentimentale imitée des voyages à Gretna-Green mettrait les parens barbares à la raison, car en pareille circonstance on étouffe la chose, et plutôt que de compromettre une jeune fille on la marie à son amant ; mais ici le cas n’est pas tout-à-fait semblable à celui que je suppose.

— J’en conviens, madame, répondit le journaliste de plus en plus attentif.

— Cependant, reprit Mme de Pontailly du même ton de légèreté, je me rappelle avoir connu un amoureux dans votre position, le comte d’Artelle, qui, quoique assez mal accueilli de la jeune personne qu’il recherchait en mariage, employa résolument l’expédient dont nous parlons.

— Il l’enleva ?

— Parfaitement. Trois semaines après, ils étaient mariés et fort heureux.

— Elle l’aima ?

— Vous savez que nous autres femmes nous ne détestons pas les entreprises hardies qui nous prouvent le pouvoir de nos attraits. Mme d’Artelle, qui ne pouvait souffrir son prétendu, raffole de son mari, et même elle a la franchise d’avouer que dès le lendemain de l’enlèvement l’amour était venu.

— Mais les parens ? dit Dornier en regardant en dessous la tante d’Henriette.

— Ils désiraient le mariage, et ils pardonnèrent sans peine à l’audacieux ravisseur ; l’histoire dit même qu’au moment décisif l’oncle