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DE L’ÉLOQUENCE ACADÉMIQUE.

à celui de panégyriste. Or, dans cette circonstance, M. Mignet a-t-il pu, a-t-il voulu dire tout ce qui était vrai ? Laissons le temps couler, laissons les contemporains disparaître en nous léguant ces révélations qui sont le patrimoine légitime de la postérité. Tout le talent dont ici a fait preuve M. Mignet n’a pu empêcher que le sujet qu’il avait choisi ne fût rebelle au panégyriste, et prématuré pour l’historien.

Plusieurs questions de philosophie générale ont été traitées avec une élégante lucidité par M. Mignet quand il a tracé l’éloge de Destutt de Tracy et de Broussais. Il a surtout loué avec une judicieuse sagacité le gentilhomme libéral qui montra une originalité si ferme dans l’idéologie, l’économie politique et la philosophie sociale. Quelques anecdotes, ingrédient trop rare dans la prose académique de M. Mignet, forment un contraste habile avec la déduction des principes et des pensées dirigeantes de M. de Tracy. Le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales n’a été que juste en proclamant Destutt de Tracy un grand philosophe ; toutefois, cette équité a bien son mérite dans un écrivain qui n’appartient pas à l’école de ce célèbre penseur. Il est sensible qu’en appréciant Broussais, M. Mignet a mis une application toute particulière et presque coquette à parler aussi exactement que possible de travaux étrangers à ses études ordinaires. Cette ambition ne l’a pas égaré ; elle l’a conduit au contraire à ne rien diminuer de la gloire originale de Broussais, qu’il a qualifié justement de génie inventif. Dans ses notices sur Destutt de Tracy et sur le médecin breton, M. Mignet a su louer avec une effusion généreuse une école et des opinions qui n’étaient pas les siennes ; impartialité dont la récompense ne s’est pas fait attendre, car elle a été pour l’écrivain une source de développemens heureux.

Il ne nous a pas paru que M. Mignet ait loué Daunou aussi abondamment. Il n’a pas assez insisté sur la véritable valeur du célèbre oratorien. Pendant que Sieyès appliquait à la politique une philosophie impérieuse et profonde, pendant que Destutt de Tracy complétait avec vigueur, avec supériorité, la métaphysique de Locke et de Condillac, Daunou, continuant Voltaire et Freret, menait jusqu’à nos jours les derniers développemens de la critique historique et littéraire du XVIIIe siècle. Il avait le génie de la classification. Aussi s’orientait-il avec calme et sécurité au milieu des travaux les plus vastes et les plus divers. Nous regrettons que M. Mignet, historien lui-même, se trouvant en face d’un pareil homme, n’ait pas voulu traiter et approfondir la question des méthodes historiques. C’était le moment.