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d’état, sans posséder le talent d’écrire et de parler. Il ne brilla ni dans les luttes de la tribune, ni dans les travaux du cabinet ; toujours il était entouré d’hommes qui produisaient pour lui. Un mémoire à rédiger, une lettre à écrire, étaient pour sa paresse ou pour son défaut d’habitude besogne fâcheuse et presque impraticable. Au congrès de Vienne, il avait auprès de lui M. de La Besnadière, qui faisait sa correspondance, que M. de Talleyrand prenait la peine de copier de sa main pour l’envoyer à Louis XVIII. Des mots, des traits, voilà où ce grand seigneur mettait sa supériorité et son amour-propre. Il aimait à résumer une vaste question, une situation complexe, en quelques paroles saillantes capables de frapper et de convaincre les esprits. En 1806, le gouvernement de Napoléon négocia une dernière fois avec la Grande-Bretagne, et lord Yarmouth eut plusieurs conférences avec M. de Talleyrand, qui, occupant encore le département des affaires étrangères, résumait ainsi les propositions de son cabinet : « La France, disait-il, offre à l’Angleterre le Hanovre pour l’honneur de la couronne, Malte pour l’honneur de la marine, et le Cap de Bonne-Espérance pour l’honneur du commerce de l’Angleterre. » À Vienne, M. de Talleyrand, dès le début du congrès, prononçait ces mots : « Vous avez la puissance, mais je vous apporte un principe, la légitimité. » À Londres, quinze ans après, il ouvrait les conférences qui suivirent 1830, en disant : « Il n’y a ici en présence ni France, ni Angleterre, ni Autriche, mais il y a une Europe, il y a tant de millions d’hommes qu’il faut empêcher de s’égorger. » Sous la restauration, M. de Talleyrand, au sein de la chambre des pairs, prononça en faveur du maintien du jury dans les délits de la presse un discours qu’il termina par ce trait : « Je vote avec M. de Malesherbes le rejet de la loi. » C’est ainsi que, suivant les circonstances, M. de Talleyrand invoquait tantôt le droit, tantôt le fait, ou cherchait à rattacher sa conduite à de grandes traditions : esprit souple et sceptique, toujours prêt à répondre à la variété des circonstances par la variété des points de vue.

Qu’on ne nous prête pas ici la prétention de vouloir juger M. de Talleyrand ; nous disons au contraire que le moment n’est pas encore venu de l’apprécier, et que sa mémoire n’est pas mûre pour la louange publique. Nous n’oublions pas qu’en parlant de ce célèbre diplomate, M. Mignet a placé çà et là des réserves et des critiques ; mais suffisent-elles ? Le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales a mis aux éloges qu’il a écrits le titre de Notices historiques, pour donner sans doute à entendre qu’il préférait le rôle d’historien