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DE L’ÉLOQUENCE ACADÉMIQUE.

nous a paru que sous sa plume le vieux monde jouait un rôle trop considérable. Il semblerait parfois, à la manière dont il pose son récit, que c’est la vieille civilisation de l’Europe occidentale qui s’incorpore les Germains sans le secours d’autres Germains. Nous soumettons cette observation à M. Mignet, et nous recommandons à sa sagacité historique les causes morales qui attiraient l’un vers l’autre, à travers leurs luttes sanglantes, le Franc et le Saxon.

L’établissement de la réforme à Genève a été mis en lumière par M. Mignet avec un remarquable talent : il est impossible de mieux peindre et de mieux résumer les révolutions successives par lesquelles, en moins d’un demi-siècle, Genève passa du catholicisme à une autre religion qui prit le nom d’un homme, d’un Français. Lorsqu’il s’est occupé de caractériser Calvin, M. Mignet l’a-t-il fait assez grand entre Luther et Farel ? Luther a été le promoteur et le tribun de la réforme, d’autres en furent les apôtres, Calvin seul sut en être à propos le législateur. Au surplus, dans son excellent mémoire, M. Mignet s’est plus occupé des tribulations et des conséquences politiques qu’eut la réforme pour Genève, que du fond même des idées systématisées par Calvin avec tant de puissance. En passant, notre historien a écrit cette phrase : « Les hérésies des cinq premiers siècles avaient attaqué l’essence même du christianisme, parce qu’elles étaient une protestation de l’esprit philosophique contre les croyances incompréhensibles de la foi ; les hérésies du XVIe siècle n’attaquèrent que l’application du christianisme à l’homme, parce qu’elles furent une protestation de l’esprit moral contre les abus qu’en avait faits le sacerdoce. » Sur ce point, nous ne tomberons pas tout-à-fait d’accord avec M. Mignet. Sans doute ce furent les excès du sacerdoce catholique qui provoquèrent chez une partie des chrétiens un effort de régénération, et les auteurs de la réforme puisèrent leur force dans l’esprit de l’Évangile ; mais une fois le mouvement commencé, il s’étendit, et sur-le-champ l’esprit philosophique se montra, sans succès, nous l’avouons, comme sans habileté, mais toujours il parut. Dans les cinq premiers siècles, les hérésies sortent de la philosophie ; au XVIe, elles y mènent, et l’on voit que, sans perdre un moment, la philosophie est, du vivant même des réformateurs évangéliques, en cause et sur le champ de bataille. Calvin agite la question du panthéisme contre Servet, précurseur déplorable de Spinoza. La trinité, le monothéisme, le bien et le mal, tous ces grands sujets sont abordés par les Socin, qui répandirent leurs doctrines à travers toute l’Europe. Toutes les idées sont donc remuées en même