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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/506

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temps, et les hérésies du XVIe siècle présentent le même front et la même profondeur que celles des cinq premiers siècles de l’église.

L’histoire[1] compte aujourd’hui M. Mignet parmi ses meilleurs représentans. Aussi est-il permis de désirer avec quelque impatience voir paraître la vaste composition qu’il nous promet depuis si longtemps sur l’histoire de la réforme au XVIe siècle. Pendant ces dernières années, ce beau sujet, tant en France qu’en Allemagne, a tenté beaucoup de personnes, et il a provoqué tantôt des recherches curieuses, tantôt des essais incomplets : il est temps enfin qu’il soit parmi nous traité par une main ferme, par un esprit qui joigne à une science historique patiemment digérée le don de peindre et de juger les choses et les hommes. Il est pour toutes les questions, pour tous les sujets, une maturité qui ne doit pas être méconnue par les écrivains ; c’est un des élémens du succès. M. Mignet ne saurait trouver une époque plus favorable pour l’apparition d’un livre où la religion doit jouer un grand rôle.

D’ailleurs l’intervention d’esprits solides et pénétrans devient nécessaire aujourd’hui dans les rapports de la religion et de la politique soit dans le passé, soit pour l’avenir. Jusqu’à présent, on a montré plus de zèle que de force pour agiter les questions religieuses ; on s’y complaît, mais on s’y perd. Quelle confusion ! que d’erreurs ! Que de gens, en se proclamant religieux, ne s’aperçoivent pas qu’ils se prosternent devant la religion qu’ils se sont fabriquée eux-mêmes ! Chacun embrasse sa chimère qu’il érige en divinité. Les uns, ne voyant dans l’Évangile qu’une prédication démocratique, se disent chrétiens parce qu’à leurs yeux le Christ fut un tribun plus puissant que les autres en vertu de son supplice. Plusieurs ne cherchent dans le christianisme qu’une excitation à la rêverie, à la contemplation intérieure, et ils aiment la croix parce qu’elle les porte à la mélancolie. Pour d’autres, la religion a surtout le mérite d’être un grand système de gouvernement ; ils s’inquiètent moins de Jésus-Christ et

  1. Nous ne parlons pas ici de l’Introduction à l’histoire de la succession d’Espagne. Ce morceau remarquable et les deux premiers volumes des Négociations relatives à cette succession, ont été depuis long-temps appréciés dans la Revue, et nous renvoyons nos lecteurs à l’article que M. de Carné leur a consacré en 1836 (no du 15 juillet). Depuis cette époque, M. Mignet a fait paraître deux nouveaux volumes, et ce grand document va aujourd’hui jusqu’à la paix de Nimègue. M. Mignet y met beaucoup d’art à composer la trame d’un vaste récit avec des pièces diplomatiques. D’intervalle en intervalle, il prend lui-même la parole, et, par des développemens lumineux, il rattache les uns aux autres des renseignemens politiques qui voient le jour pour la première fois.