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LE DRAME SATYRIQUE DES GRECS.

Est et in obscœnos deflexa tragœdia risus,
Multaque præteriti verba pudoris habet…

Cette idée de rapprocher, d’opposer, en une même composition dramatique, les points extrêmes du noble et du trivial, du terrible et du bouffon, n’est point, il est bon de le dire en passant, aussi complètement moderne qu’on l’a cru quelquefois, et que de nos jours M. Victor Hugo l’a ingénieusement soutenu dans la préface de son Cromwell. Elle ne date point des lumières nouvelles du christianisme sur notre double nature ; elle ne date point du drame de Shakspeare, à la fable complexe, aux faces changeantes et disparates, et, pour ne parler que d’ouvrages analogues à ceux qui nous occupent, de sa divertissante pièce de Troilus et Cressida, où les héros de l’Iliade sont si lestement traités. Cette idée était venue aux Grecs, même sous la discipline d’Homère, et, par l’industrieuse émulation de leurs tragiques, elle enrichit leur théâtre de toute une classe d’ouvrages destinés uniquement à amuser, à égayer l’esprit. Dans ce que pouvait présenter de divertissant le contraste des sentimens relevés du héros avec les appétits sensuels, la gaieté brutale, la morale plus que facile, la malice, la lâcheté avouées du satyre, était tout le plaisir, toute la portée de cette espèce de drame.

Chez ce peuple, où les arts avaient leurs limites qu’on ne passait point, où la tragédie, avec ses accens familiers, la comédie, avec ses saillies de sérieux et de tristesse, se rapprochaient sans se confondre, le drame satyrique forme entre ces deux genres un genre à part qui eut aussi sa forme spéciale : pour décoration, non plus, comme le premier, le péristyle d’un palais ou d’un temple, comme le second, une place avec des maisons, mais la représentation de quelque solitude champêtre, des bois, des rochers, des antres[1] ; pour acteurs, des héros et quelques monstres grotesques sacrifiés à la gaieté publique, particulièrement le vieux Silène et ses fils les satyres, vêtus de peaux de bêtes, parés de guirlandes, dansant le thyrse en main la sautillante sicinnis ; enfin, pour arriver à ce qui concerne l’expression poétique, un style, une versification dont le caractère général paraît avoir été, comme celui de la composition même, une sorte de compromis entre la gravité tragique et la familiarité comique, entre l’exactitude sévère et la licence. Le système du drame

  1. Voir Vitruve, v, 8.