Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/526

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
520
REVUE DES DEUX MONDES.

On entend les plaintes du cyclope ; on le voit paraître tout sanglant. À son aspect éclatent des railleries, d’insultantes risées, dont Homère a encore fourni le texte :

LE CHŒUR.

Qu’as-tu donc à crier, Cyclope ?

LE CYCLOPE.

C’est fait de moi.

LE CHŒUR.

Tu es affreux à voir.

LE CYCLOPE.

Et bien malheureux.

LE CHŒUR.

Est-ce que, dans ton ivresse, tu serais tombé parmi les charbons ardens ?

LE CYCLOPE.

L’auteur de mon mal, c’est Personne.

LE CHŒUR.

Nul ne t’a donc maltraité ?

LE CYCLOPE.

Je te dis qu’on m’a crevé l’œil, et que c’est Personne.

LE CHŒUR.

Tu n’es donc point aveugle ?

LE CYCLOPE.

Puisses-tu l’être aussi peu que moi !

LE CHŒUR.

Mais comment, par le fait de personne, devenir aveugle ?

LE CYCLOPE.

Tu me railles ! Mais où est-il, Personne ?

LE CHŒUR.

Nulle part, cyclope.

Polyphème veut à son tour se venger de ses bourreaux ; il demande où ils sont : — à droite, à gauche, de ce côté, de cet autre, répond le chœur, continuant à se jouer de sa rage impuissante ; et sur ses malignes indications, le monstre stupide va se heurter rudement la tête contre les rochers. Ce n’est plus la caricature d’Œdipe, mais celle de Polymestor poursuivant dans l’ombre la troupe fugitive des Troyennes.

Enfin retentit à son oreille la voix d’Ulysse, qui, cette fois, se donne son véritable nom. Polyphème reconnaît dans cette aventure l’accomplissement d’une prédiction qui lui fut autrefois adressée, et