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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/539

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THÉATRE-FRANÇAIS

Mademoiselle de Belle-Isle a marqué, dans la carrière de M. Alexandre Dumas, une seconde phase qui se continue heureusement. La vive imagination de l’auteur de Henri III s’est rajeunie au moment où on la croyait épuisée ; elle s’est retrempée à des sources nouvelles, et, si l’on peut ainsi parler, elle a refait sa fortune en se déplaçant. C’est là le beau privilége de ces riches organisations : elles triomphent des excès où les autres meurent. Les intelligences aussi fécondes en ressources que celle de M. Alexandre Dumas se tirent toujours d’affaire ; mais combien leur exemple est désastreux pour ce grand nombre de talens auxquels il est interdit de rien créer de durable sans des efforts de travail et de patience, et qui, séduits par les succès de l’audacieux écrivain, abusent de leur facilité, gaspillent des facultés précieuses, et arrivent, sans avoir produit une page qui mérite l’admiration ou même l’estime, à une décrépitude précoce, et, dans la force de l’âge, à une véritable impuissance ! N’est-ce pas l’histoire du grand seigneur jeune et prodigue qui entraîne des jeunes gens, bien nés du reste et dans l’aisance, mais fort au-dessous de son nom et de sa fortune, à imiter son luxe extravagant et ses dépenses folles ? Quand la première jeunesse est passée, et la fougue amortie, le grand seigneur se range, vend quelques domaines pour payer ses dettes, ou au besoin se marie, et, cela fait, se trouve encore dans une assez belle opulence, tandis que ses compagnons, complètement ruinés, sont obligés de faire faillite.

Que de faillites dans les lettres depuis quelques années ! que de gens, passablement riches au début, qui ne font plus honneur à leur signature ! Si, au milieu de tant d’espérances avortées, de tant de promesses évanouies, il fallait attribuer à chacun la part de responsabilité qui lui revient, celle de M. Alexandre Dumas ne serait pas la moindre. La critique aurait beau jeu en feuilletant tous ces volumes écrits à la hâte, comme si un maître terrible avait le fouet levé sur l’écrivain, et le forçait d’écrire toujours, sans lui accorder une heure de réflexion ou de repos. Mais plus on porterait un jugement équitable et sévère contre toutes ces productions hâtives, contre cette littérature bâclée, où l’inspiration ne se montre qu’à de rares intervalles et semble n’apparaître que pour faire regretter plus amèrement son absence, plus il faudrait admirer chez M. Dumas cette vigueur de talent qui survit à tout, cette verve originale qui reparaît à un moment donné, et cet esprit délié, jamais à court, qui produisit Mademoiselle de Belle-Isle, et d’où sont sorties hier encore les Demoiselles de Saint-Cyr.

Je l’avouerai franchement, le titre de la nouvelle comédie m’avait fait peur. La présence de l’auteur d’Antony à Saint-Cyr n’était pas rassurante. Je dois le dire, les allures de l’école à laquelle appartient M. Dumas ne me semblent pas en harmonie avec cette maison paisible, bâtie au bout du parc de Versailles, dont Mme de Maintenon écrivit elle-même la règle, et où elle venait