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mise là comme étant le contraire de jeunesse, qui, dans le langage systématique des troubadours, exprimait non-seulement un des âges de l’homme, mais la disposition morale qui le rend propre aux sentimens et aux vertus chevaleresques[1].

À côté des images principales, le poète en a placé deux autres, Papelardie et Pauvreté. Papelardie est synonyme d’hypocrisie. Jean de Meun, dont la satire est l’élément, n’aura garde d’oublier ce personnage et nous y ramènera. Guillaume de Lorris, porté aux sentimens doux et nullement agressif de sa nature, n’a pu se défendre pourtant de placer là cette allusion aux faux dévots, tant ce genre de raillerie que l’on rencontre avec quelque surprise jusque dans les sermons et les légendes, était naturel au moyen-âge, surtout en France. Papelardie est la grand’mère du bon M. Tartufe ; elle dit comme lui ma haire et ma discipline :

Et si avoit vestu la haire.

Guillaume de Lorris, arrivé au pied du mur où les images sont peintes en or et en azur comme dans les vignettes d’un missel, entend d’innombrables oiseaux chanter derrière la muraille du verger. Il voudrait bien la franchir, mais point de pertuis, point d’échelle pour y pénétrer ; enfin il trouve un petit guichet fermé ; quand il a frappé long-temps, une noble et gente pucelle vient lui ouvrir, c’est Oiseuse (Oisiveté),

Qui la gorgette eut aussi blanche
Comme est la neige sur la branche
Quand il a fraîchement neigé.

D’après le nom de la dame, on ne doit pas s’étonner qu’elle soit fort parée, car Oiseuse n’est guère embesoignée, et n’a rien à faire que de s’atourner noblement.

Oiseuse est l’amie de Déduit (Plaisir). C’est Déduit, dit-elle, qui a fait planter ce beau jardin, et y a fait apporter des arbres de la terre aux Sarrasins. Le luxe horticole du moyen-âge allait-il donc jusqu’à importer en Europe des arbres exotiques[2] ? Le poète, apprenant

  1. Voyez à ce sujet le curieux travail de M. Fauriel sur l’origine de l’épopée chevaleresque au moyen-âge, publié dans cette Revue en 1832.
  2. Du reste, ce n’est pas le seul trait de la description du verger enchanté qui fasse penser à l’Orient. Ailleurs, Lorris dit qu’il est clos de cannelliers, de girofliers,

    Et d’oliviers et de cyprès,
    Dont il n’y a guère ici près.

    L’idée du verger de la Rose pourrait avoir été elle-même transplantée de l’Orient