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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/554

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REVUE DES DEUX MONDES.

la bouche, sur trois choses que tu voudras dire, tu en oublieras deux. Ce sont les faux amans qui, maîtres d’eux-mêmes, expriment ce qu’ils veulent exprimer ; la nuit venue, ton mal sera encore plus grand,

Car, quand tu penseras dormir,
Tu commenceras à frémir,
À tressaillir, à demener (t’agiter),
Sur le côté à te tourner
................
Comme fait qui a mal aux dents.

L’Amour continue à peindre à l’amant l’agitation de ses nuits avec assez de vérité et de chaleur. « Puis, ajoute-t-il, ne pouvant dormir, tu te lèveras, tu iras par la pluie ou par la gelée

Vers la maison de ton amie
Qui sera peut-être endormie,
Et à toi ne pensera guère ;

tu resteras à sa porte, tu prêteras l’oreille ; si elle se réveille, n’oublie pas quelle t’entende gémir et te plaindre ; puis, baise la porte et retire-toi avant le jour, de peur qu’on ne te voie. »

On ne peut prescrire une conduite plus exemplaire pour un amant. L’auteur a mis là toute l’essence de la morale galante de son temps. Il l’expose avec le sérieux d’un prédicateur convaincu ; mais, malgré ce sérieux, l’humeur narquoise de la muse française au moyen-âge s’échappe à la fin du morceau dans ces vers railleurs :

Tous ces venirs, tous ces allers,
Tous ces veillers, tous ces parlers,
Font des amans dans leurs houseaux
Cruellement maigrir les peaux.

Il n’en est pas de même des faux amoureux,

Qui vont les dames trahissant,
Qui disent pour les engager
Perdre le boire et le manger,
Et que je vois, les enjoleurs,
Plus gras qu’abbés ou que prieurs.

Le pauvre Amant, tout épouvanté des peines et des tourmens qu’Amour lui annonce, se récrie à ses paroles, et demande

Comment homme, s’il n’est de fer,
Peut vivre un mois en tel enfer.