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éprouver ces peines qu’Amour lui a promises. À cette heure, dame Raison descend de sa tour, et débite à l’Amant un sermon dans lequel elle lui reproche d’avoir suivi Oiseuse et d’avoir écouté Amour. Elle le menace de Dangier et de Honte, de Peur et de Mauvaise-Langue. C’est la thèse contraire à la thèse chevaleresque. Au lieu d’être principe de tout bien, Amour est ici cause de tout mal.

Qui aime ne sçauroit bien faire
..........
La peine en est démesurée,
Et la joie a courte durée ;
Qui joie en a, bien peu lui dure,
Et l’avoir c’est grande aventure
..........
Or, mets l’amour en nonchaloir
Qui te fait vivre et non valoir.

Ces derniers vers sont énergiques, ils seraient bien placés dans la bouche de don Diègue parlant à Rodrigue.

Mais l’Amant ne se laisse point persuader, et maintient les saines doctrines amoureuses. Il a baillé hommage au dieu Amour ; il lui appartient, il doit lui demeurer fidèle ; il voudrait mourir avant qu’Amour l’accuse de fausseté et de trahison ; il s’écrierait volontiers comme le Cid :

L’infamie est pareille et suit également
Le guerrier sans courage et le perfide amant.

Raison est obligée de se départir, car elle voit bien qu’elle ne gagnera rien par ses discours.

L’Amant tout affligé se souvient alors qu’Amour lui a dit de chercher un compagnon pour lui confier ses peines ; il le trouve, ce compagnon loyal qui s’appelle Ami. C’est le type du confident, de ce personnage obligé des romans de chevalerie, et qui, comme tant d’autres choses, a passé de ces romans dans notre tragédie, où sa présence, quelquefois assez fastidieuse, ne s’explique et ne se justifie un peu que par cette origine. Dans le roman de Cléopâtre, le prince Tiridate ne fait jamais un pas sans être accompagné de ses deux confidens.

Ami relève le courage de l’Amant en lui donnant l’espoir qu’il pourra attendrir le terrible Dangier. Bien humblement il s’en va vers le félon, qu’il trouve l’air farouche et menaçant,