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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/557

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POÉSIE DU MOYEN-ÂGE.

En sa main un bâton d’épine.

L’Amant lui crie merci, proteste qu’il ne fera jamais rien qui lui déplaise ;

Souffrez que j’aime seulement.

Dangier a de la peine à s’adoucir, enfin il répond brusquement :

Si tu aimes que m’en chaut,
Ça ne me fait ni froid ni chaud.

Aime tant qu’il te plaira, mais n’approche pas de mes roses. — Les choses vont ainsi pendant quelque temps ; l’Amant regarde les roses par-dessus la haie qu’il n’ose franchir ; ses plaintes et ses soupirs n’attendrissent point l’impitoyable gardien.

Cependant voilà que de fortune Dieu amène deux personnes disposées à venir en aide à l’Amant : c’est Franchise et Pitié. Elles supplient Dangier de se relâcher un peu de sa rigueur et de permettre que le pauvre déconfit ait encore compagnie de Bel-Accueil. Tout farouche qu’il est, Dangier ne peut rien refuser à des dames, ce serait trop grande vilenie. Aussitôt Franchise va chercher Bel-Accueil et le ramène. Bel-Accueil prend de nouveau l’Amant par la main et le conduit dans le pourpris d’où il avait été chassé. Il retrouve la Rose plus épanouie qu’elle n’était avant et plus vermeille ; il voudrait bien en avoir un baiser savoureux. Bel-Accueil, qui a peur de Chasteté, refuse, mais Vénus vient à son aide. Dame Vénus était au moyen-âge autre chose qu’un être mythologique. En Allemagne, frau Venus[1] était un personnage populaire ; espèce de diable féminin, Circé moderne, type des Alcines et des Armides, elle avait sa montagne, Venus-Berg, et dans cette montagne un séjour enchanté vers lequel on était attiré par des chants délicieux, et d’où l’on ne pouvait plus sortir après qu’on s’était hasardé d’y pénétrer[2]. Vénus figure ici parmi les personnages allégoriques du Roman de la Rose, et peut passer elle-même, ainsi qu’Amour, pour un personnage allégorique. Elle prend le parti de l’Amant, et Bel-Accueil octroie le baiser désiré ; mais Mauvaise-Langue, qui représente les médisans

  1. Voir Grimm, Deutsche sagen.
  2. Ailleurs le moyen-âge s’était approprié la divinité païenne et en avait fait un personnage un peu différent. Pour un poète espagnol du XIVe siècle, Vénus n’est pas la mère de l’Amour, mais son épouse :

    Segnora dona Venus muger de don Amor.

    (L’archiprêtre de Hita, copl. 559.)