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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/561

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POÉSIE DU MOYEN-ÂGE.

teurs érudits du XIVe siècle. Le XIVe siècle, aube de la renaissance dont le XVe siècle fut l’aurore, vit naître en France un assez grand nombre de traductions des auteurs latins. Jean de Meun traduisit entre autres ouvrages, la Consolation de Boëce et le traité de Végèce sur l’Art militaire, souvent traduit et mille fois copié au moyen-âge, probablement à cause de son titre et parce que de re militari se rendait par livre de chevalerie. Il a composé aussi un poème théologique intitulé le Trésor, et un poème moral et satirique intitulé le Testament[1].

Tout cet ensemble de compositions et de traductions place Jean de Meun auprès des poètes savans du XIVe siècle. On doit s’attendre à trouver dans son œuvre l’alliance de la satire, à laquelle le portait son naturel, avec le savoir, ou du moins la prétention au savoir, qui était dans ses habitudes. Tel sera en effet le double caractère de la continuation du Roman de la Rose. Cette continuation paraît avoir été une des premières productions de son auteur. On peut y reconnaître un amusement de la jeunesse d’un savant grivois[2].

Le style de Jean de Meun forme un parfait contraste avec celui de Guillaume de Lorris. Autant celui-ci était coulant, parfois faible à force d’être doux, languissant à force d’être langoureux, autant le langage de Jean de Meun est rude, vif, emporté, en quelques endroits âpre, lourd, obscur. Le mérite de la première partie du Roman de la Rose, c’était la grace et la finesse ; le mérite de la seconde, c’est la vigueur et l’audace. C’est un joyeux moine qui prend la parole après un troubadour dameret. On croit voir l’aimable Jehan de Saintré remplacé ainsi qu’il le fut dans le cœur de la Dame des Belles Cousines par un rival robuste et gaillard comme Damp abbé.

Je vais continuer l’analyse du Roman de la Rose. Les difficultés

  1. Lui-même nous donne la liste de ses écrits dans la préface qu’il a mise en tête du Confort de Boëce. Il avait encore traduit les Merveilles d’Irlande, ouvrage légendaire sans doute, où devait figurer le purgatoire de saint Patrice, — et les épîtres d’Héloïse et d’Abeilard. La traduction de Boëce fut le dernier de ses ouvrages et postérieur à la composition du Roman de la Rose, au moins au passage où il dit que celui qui translaterait le Confort de Boëce, bonne œuvre ferait. Le codicille de Jean de Meun est une courte pièce de vers assez édifiante, qu’il ne faut pas confondre avec son Testament. On a joint aux œuvres poétiques de Jean de Meun quelques poésies alchimiques qui ne sont pas de lui.
  2. L’Amour, tom. II, pag. 305, dans un passage curieux, où il prophétise la naissance du Roman de la Rose, parle de Guillaume de Lorris comme vivant et de Jean de Meun comme n’étant pas né ; d’autre part, celui-ci dit avoir entrepris sa continuation quarante ans après la mort de Guillaume (pag. 304) : il avait donc moins de quarante ans quand il a écrit.