Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
REVUE DES DEUX MONDES.

à un hôtel garni de la rue des Petits-Champs, où s’était logé le défaillant ; là ils apprirent que M. Dornier n’était pas rentré depuis la veille.

— Le lièvre a changé de gîte, dit le vieillard en riant ; car, malgré sa susceptibilité à l’endroit du point d’honneur, l’aventure prenait à ses yeux une tournure si bouffonne, qu’il jugea inutile de la traiter désormais sérieusement. Ma foi, cherche sa piste qui voudra. Je crois que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’en rester là. Votre rival vient de se suicider, et cela vaut mieux pour vous que de l’avoir tué vous-même. Battons le fer tandis qu’il est chaud ; allons trouver M. Chevassu.

— Vous devez comprendre, répondit le vicomte, qu’après le refus que j’ai essuyé il y a deux mois, il m’est impossible de me présenter chez M. Chevassu, à moins qu’il ne m’y appelle lui-même.

— C’est juste ; je ne pensais plus à cela. Eh bien ! vous m’attendrez dans la voiture. Au total, la journée est bonne ; nul doute qu’en apprenant la lâche conduite de Dornier, mon beau-frère ne rompe avec lui sur-le-champ.

X.

La plupart des députés, pendant leur séjour à Paris, se logent presque aussi modestement que le font les étudians ; oiseaux de passage, jusqu’à ce qu’ils retournent à leur nid, le moindre gîte leur suffit, comme à l’hirondelle. Quelques-uns, cependant, y attachent une certaine importance, et M. Chevassu était de ce nombre. Le logement qu’il occupait à l’hôtel Mirabeau était assez grand pour qu’il y pût recevoir plusieurs de ses collègues, et il s’y était installé en homme décidé à retrouver, du moins en partie, les agrémens et les ressources de son propre logis. Avant son départ de Douai, le député avait fait mettre au roulage une caisse énorme contenant un choix des livres de sa bibliothèque qu’il prévoyait devoir lui être le plus indispensables dans le cours de la session. C’était le Moniteur depuis 1830, le Bulletin des Lois, une foule de brochures politiques, et enfin la collection complète du Patriote douaisien, nécropole d’articles d’opposition d’où le nouveau membre du côté gauche comptait bien exhumer pour la tribune plus d’une tirade à effet. Fort aristocrate dans ses habitudes, malgré ses principes démocratiques, M. Chevassu aurait trouvé au-dessous de sa dignité d’aller consulter, dans une bibliothèque publique ou dans un cabinet de lecture, les livres