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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/59

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UN HOMME SÉRIEUX.

dont il pouvait avoir besoin. Quant à travailler à la chambre, comme font plusieurs députés, Dornier lui avait insinué qu’un homme d’état, pour conserver son prestige, doit toujours sortir de son cabinet armé de toutes pièces, et paraître tout savoir sans jamais avoir l’air de rien apprendre.

En ce moment, M. Chevassu, enveloppé d’une belle robe de chambre sérieuse en sa couleur, était assis devant un grand bureau garni d’une étagère où il avait fait ranger ses livres. Un manuscrit fort raturé était ouvert devant lui, et il le feuilletait avec une attention mêlée d’impatience. S’il nous était permis de trahir un secret commun à un assez grand nombre d’orateurs, nous avouerions au lecteur que ce cahier si souvent revu et corrigé n’était autre chose que l’improvisation par laquelle le nouveau député voulait signaler son début. M. Chevassu appelait ainsi le travail du cabinet au secours de l’inspiration de la tribune, non pas qu’il crût manquer d’esprit comptant, ou qu’il se défiât de son éloquence, mais il attachait une telle importance à son premier pas dans la carrière parlementaire, qu’il lui semblait impossible d’y apporter trop de préparation et de soins.

— Un homme comme moi ne doit aborder la tribune que par un coup d’éclat, s’était-il dit après son élection.

Quel serait ce coup d’éclat ? Si les exemples ne manquaient pas, tous offraient des inconvéniens. Il y avait le début foudroyant, l’apostrophe de Mirabeau à M. de Brézé ; mais ce n’est qu’au milieu des orages d’une révolution naissante qu’on peut faire gronder un pareil tonnerre ; — le début spirituel, la réplique de Pitt à lord Nugent, mais l’esprit était-il bien le meilleur moyen de réussir à la chambre ? — le début libéral, la motion de Burke contre la taxe du timbre imposée aux colonies d’Amérique, mais ici la multiplicité des abus rendait fort difficile le choix du point d’attaque. Après avoir ainsi passé en revue les commencemens d’une dizaine d’orateurs célèbres à des titres divers, M. Chevassu se trouva un peu plus embarrassé qu’auparavant. À force d’y réfléchir cependant, une inspiration lui vint qui lui parut heureuse.

— Je suis député du département du Nord, se dit-il, mais en même temps j’appartiens à la France entière. Si donc il m’était possible d’entamer d’abord une question locale, et, partant de là, d’ouvrir adroitement une discussion d’intérêt général, je frapperais deux coups au lieu d’un ; d’une part, je charmerais mes commettans en