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POÉSIE DU MOYEN-ÂGE.

vers que j’ai cités sur l’océan de la beauté divine qui n’a ni fond ni rives, sur la vraie noblesse, sur l’égalité primitive des hommes, sur l’humble origine de la royauté, sur la faiblesse de ce pouvoir devant la volonté populaire, il en est de tout-à-fait métaphysiques, et qui offrent une grande force et une grande hauteur d’expression. Dans un passage où Jean de Meun traduit Platon, il exprime ainsi comment Dieu embrasse d’un regard unique les trois formes du temps, le passé, le présent et l’avenir. Dieu voit, dit-il,

La triple temporalité
Sous un moment d’éternité.

Ceci est tout simplement sublime.

Parmi les recueils de poésies didactiques et encyclopédiques du moyen-âge, il en est peu, on l’a vu, qui contiennent des faits scientifiques plus curieux et des notions positives plus avancées que la continuation du Roman de la Rose. De même il est peu d’auteurs antérieurs au XVe siècle qui connaissent mieux que Jean de Meun les écrivains de l’antiquité. À cet égard, il y a une différence considérable entre lui et Guillaume de Lorris. Guillaume de Lorris ne cite que le songe de Scipion, conservé par Macrobe, et qui lui suggéra peut-être à lui-même l’idée d’un songe allégorique bien différent. Il paraît connaître Ovide. Là se borne sa science de l’antiquité. Jean de Meun non-seulement cite, mais traduit Platon, les vers dorés attribués à Pythagore, Ovide, Horace, Cicéron, Lucain, Solin, Claudien, Suétone, l’Almageste de Ptolomée, les Institutes de Justinien, Juvénal, Boëce, Virgile, Valerius Maximus, Salluste ; il connaît Aristote par Boëce, il sait ce qu’étaient Homère, Socrate, Sénèque, Tibulle, Catulle, Gallus, Hippocrate, Galien, Parrhasius, Apelle, Myron, Polyclète, Euclide, Empédocle, Ennius. Tout ce qu’il dit des auteurs anciens est exact, si l’on en excepte qu’il suppose qu’Auguste donna la ville de Naples à Virgile, fait apocryphe probablement emprunté à la légende qui, au moyen-âge, fit de Virgile un magicien de Naples, légende dont le souvenir se perpétue encore dans la population napolitaine. Jean de Meun a pu citer, il est vrai, plus d’un passage des auteurs anciens au moyen de certaines compilations modernes, comme le Policraticon de Jean de Salisbury ; mais souvent on voit qu’il connaît l’auteur original, quand par exemple il dit qu’un vers de Virgile auquel il fait allusion se trouve dans le discours de la sibylle, ou une phrase de Cicéron dans son livre sur la rhétorique. Certes il avait lu et apprécié Horace, celui qui le caractérise ainsi :