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REVUE DES DEUX MONDES.

........ Horace,
Qui tant a de sens et de grace.

Voici qui est plus extraordinaire. Un passage décisif du Roman de la Rose ne permet pas de douter que Jean de Meun n’eût lu Homère. Non-seulement il cite l’apologue des deux tonneaux où Jupiter puise les biens et les maux qu’il distribue aux hommes, apologue qui se trouve dans l’Iliade, mais il se fait dire par la Raison : Je tiens à grande honte que tu ne te souviennes pas d’Homère

Après que tu l’as étudié,
Mais tu l’as ce semble oublié.

Ceci prouve l’existence d’une traduction d’Homère en latin antérieure à toutes celles que nous possédons, à moins qu’on ne suppose, ce qui est peu probable, que Jean de Meun savait le grec.

Les personnages de la mythologie antique sont familiers à notre auteur, il a même un paganisme de langage et presque de croyance qui annonce déjà chez lui ces habitudes d’idolâtrie poétique si chères aux hommes de la renaissance, et dont Dante, précurseur de la renaissance à certains égards, a le premier donné l’exemple en mettant dans son enfer chrétien un Caron, un Minos, un Cerbère, qui ne sont pas, il est vrai, tout-à-fait ceux du paganisme. De même Jean de Meun place dans le sien, après les chaudières et les brasiers, le supplice plus poétique d’Ixion, de Tantale, de Sisyphe et des Danaïdes. Comme Dante, il a un peu modifié les êtres infernaux qu’il emprunte à la mythologie antique ; chez les deux poètes, Cerbère n’est pas seulement le gardien des ombres, mais un chien monstrueux qui déchire et dévore les corps des damnés. À ces légères différences près, Jean de Meun reproduit fidèlement les récits de la mythologie païenne, et, à la manière dont il en parle, on dirait qu’il y croit. J’ai cité la peinture de l’âge d’or entièrement étrangère à la donnée biblique sur les premiers temps, et Flore reconnue pour déesse des fleurs ; mais il y a mieux, et des traditions païennes remplacent ou accompagnent l’exposition orthodoxe d’évènemens et de dogmes qui font partie de la croyance chrétienne. Le mot de déluge amène sous la plume de Jean de Meun, non l’histoire de l’arche de Noé, mais l’histoire de Pyrra et de Deucalion. Mention est faite du règne de Saturne à propos du paradis. Ce paganisme d’imagination doit peu surprendre chez un homme qui cite sans cesse les auteurs anciens, et qui d’ailleurs, dans l’ensemble de sa doctrine, rappelle bien plutôt les enseignemens d’un sensualisme tout païen que les