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s’y asseyant en été, on profitait de l’ombrage des arbres du pensionnat dont l’allée de tilleuls aboutissait précisément à cet endroit. Cette plate-forme paraissait avoir été construite spécialement à l’usage d’un espion ou d’un amoureux. Pourvu qu’on se tînt caché derrière les arbustes qui en garnissaient le pourtour, il était facile d’examiner ce qui se passait dans le jardin voisin sans s’exposer à être vu soi-même ; et, à supposer qu’on eût déjà quelque intelligence dans l’intérieur de la pension, rien n’empêchait qu’on n’établît par-dessus le mur une de ces correspondances sentimentales auxquelles suffit pour facteur, en pareille mitoyenneté, une petite pierre dans un billet.

Du premier coup d’œil, Moréal reconnut l’excellence de cette position, et résolut d’y transporter son quartier-général à l’heure de la récréation. Pour se mettre lui-même à l’abri de tout espionnage, il se débarrassa de la vieille portière en la chargeant d’une demi-douzaine de commissions qui devaient la tenir éloignée pendant plusieurs heures. Il découpa ensuite une étroite bande de papier en forme de flèche, et la colla extérieurement sur l’un des vitraux du belvédère, en ayant soin d’en diriger la pointe vers l’allée de tilleuls.

— Cette boussole est trop peu visible pour attirer l’attention, se dit-il alors : la remarquât-on d’ailleurs, personne n’en comprendrait le sens ; mais je peux me fier à l’intelligence d’Henriette.

L’heure qui annonçait la fin des études ayant sonné, le vicomte se hâta de monter sur la petite terrasse, et il y resta aux aguets, attendant le résultat de son stratagème. Comme la veille, les jeunes pensionnaires se répandirent joyeusement dans le jardin, et se divisèrent par groupes pour se livrer aux plaisirs de leur âge. Parmi les plus empressées à traverser la pelouse, Moréal reconnut celle qu’il aimait. Recommandée particulièrement par sa tante à la sévérité de la maîtresse du pensionnat, Henriette avait compris qu’au premier grief on userait à son égard d’une rigueur inexorable ; tout au moins la mettrait-on en retenue à l’heure de la récréation, et ce châtiment était celui qu’elle redoutait le plus, car pour revoir Moréal il fallait qu’elle pût descendre au jardin. La jeune fille s’appliqua donc à déjouer Mme de Pontailly, en détruisant, par la conduite la plus irréprochable, l’effet de ses malveillantes paroles. Si complète fut sa docilité, si douce son humeur, si exemplaire son application, que Mme de Saint-Arnaud, qui, sur la foi de la marquise, s’attendait à un tout autre début, ne put cacher sa surprise.

— Ou c’est une hypocrite consommée, ou sa tante est injuste à son