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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/589

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UN HOMME SÉRIEUX.

celle-ci que toute autre, car ici « la tranchée est ouverte, tandis qu’ailleurs peut-être je ne trouverais pas les mêmes facilités. Maintenant ferai-je part de ma découverte à M. de Pontailly et à Prosper ? Pas si écolier.

Le vicomte comprenait fort bien que choisir le marquis pour confident, c’était accepter une tutelle ; or, tout amant vise à l’émancipation ; d’un autre côté, s’ouvrir à l’étudiant, n’était-ce pas se mettre à la merci d’un étourdi dont la mauvaise tête pouvait tout gâter ? Entre ces deux écueils, Moréal se décida d’autant plus aisément à garder son secret, qu’en en restant maître il conservait la pleine liberté de ses actions, avantage qu’un jeune homme estime par-dessus tout. Le soir même, il alla chez un tapissier louer les meubles indispensables, et dès le lendemain matin il les fit conduire à son nouveau logement, dont il prit ainsi possession. Il revint ensuite à l’hôtel de Castille, où il avait gardé son petit appartement pour domicile officiel. Comme nous l’avons dit, il y attendit la visite de ses deux alliés et leur montra une réserve impénétrable ; mais, dès qu’ils furent sortis, il reprit en toute hâte le chemin de l’avenue Sainte-Marie ; l’heure de la récréation approchait, et il avait résolu de faire parvenir à Henriette un second message en dépit de tous les obstacles.

Le belvédère, dont Moréal avait tiré si bon parti la veille, ne pouvait de nouveau, sans une grave imprudence, lui servir de lieu d’observation ; dominant le jardin de la maison de Mme de Saint-Arnaud, ce petit pavillon se trouvait tellement en évidence, que paraître à l’une de ses fenêtres, surtout à l’heure de la récréation, c’eût été un infaillible moyen de se faire remarquer et par conséquent surveiller par le pensionnat tout entier. Le vicomte se souciait peu de mettre dans la confidence de son amour une centaine de jeunes filles non moins espiègles que curieuses ; il chercha donc, pour y établir son embuscade, un endroit moins exposé à leurs regards malicieux. Le hasard le servit à souhait. À droite de la grille de l’hôtel se trouvait une remise appuyée de flanc contre le mur de la pension ; le toit de ce petit bâtiment formait une plate-forme couverte en zinc et entourée d’une balustrade le long de laquelle étaient rangés des lilas, des orangers et des grenadiers en caisses ; un escalier extérieur, presque aussi frêle qu’une échelle, conduisait à cette terrasse, où le même architecte, qui dans la construction de l’édifice principal avait ingénieusement associé les styles grec, chinois et gothique, semblait s’être efforcé de reproduire en miniature les jardins suspendus de Babylone ; un banc s’y trouvait placé de manière qu’en