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vous avez sonné à la porte de cette maison, vous ignoriez que M. de Moréal y demeurât. Ainsi, glissons sur ce chapitre ; mais j’ai une autre explication à vous demander.

— Parlez, mon cher Prosper, dussiez-vous me faire manquer à mon dîner.

— Est-il vrai que mon père vous ait remis hier cinquante mille francs ? reprit l’étudiant en regardant d’un œil farouche son ancien ami.

— Parfaitement vrai, répondit avec calme le journaliste.

— Est-il vrai que ma tante vous ait donné une pareille somme ?

— Donné, non ; je n’aurais pas accepté un don de cette nature ; c’est confié qu’il faut dire.

— Peu importe ; toujours est-il que vous êtes en ce moment détenteur de cent mille francs qui appartiennent à ma famille.

— Détenteur bien malgré moi, je vous assure. Un dépôt de cette valeur est très gênant, pour moi surtout qui demeure dans un hôtel garni. Je suis obligé de porter cette somme dans mon portefeuille, et il me tarde fort d’en être débarrassé.

— Qui vous empêche de vous en débarrasser aujourd’hui même ? dit avec vivacité l’étudiant.

— Comment cela ? demanda Dornier un peu surpris.

— Rien de plus simple. Je suis l’héritier de mon père et, selon toute apparence, de ma tante ; l’argent que vous avez entre les mains doit donc un jour m’appartenir.

— Vous oubliez mademoiselle votre sœur.

— Ma sœur et moi ne faisons qu’un en ceci, et nos intérêts sont communs. La qualité de dépositaire n’est sans doute pas incompatible avec celle de propriétaire futur, et je suis prêt à me charger du fardeau qui vous paraît si pénible. Puisque vous avez les cent mille francs dans votre portefeuille, remettez-les-moi ; je vais vous en donner un reçu.

Dornier hocha la tête en souriant d’un air faux.

— Ce n’est pas tout-à-fait ainsi que se traitent les affaires, dit-il enfin. Dieu sait que je serais ravi d’être déchargé de ce dépôt, mais, pour cela, il faut l’agrément des personnes de qui je l’ai reçu.

— Croyez-vous que mon père ou ma tante ait moins de confiance en moi qu’en vous ? s’écria Prosper, prêt à s’emporter.

— Loin de moi une pareille idée, reprit le journaliste avec un accent doucereux ; votre père vous considère comme un autre lui-même, et vous êtes le favori de madame votre tante ; cela me paraît évident.