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angoisses auxquelles sont exposés les ambitieux. Le matin même, il avait appris qu’il se signait à Douai une pétition destinée à attaquer la validité de son élection, et certaines petites irrégularités dans les opérations du collége lui donnaient lieu de craindre que la démarche de ses ennemis politiques ne fût couronnée d’un plein succès.

— Les cerveaux étroits ! disait-il avec indignation ; les ânes bâtés ! Un seul homme peut-être est capable de relever aux yeux de la France l’ancienne réputation de l’Athènes du nord, et ils s’acharnent à lui barrer le chemin ! Nous n’avons pas la même opinion, disent-ils ; et qu’importe ? Ici la question de l’honneur du pays ne devrait-elle pas l’emporter sur toutes les considérations d’une politique mesquine ? Si, comme ils le prétendent, ils avaient à cœur les intérêts, j’oserai dire plus, la gloire de la ville de Douai, loin de se poser vis-à-vis de moi en adversaires stupides, ils se seraient fait un devoir de me donner leurs voix ; mais l’envie, la pâle envie !

Le soliloque de M. Chevassu fut interrompu par André Dornier, qui tout à coup entra dans l’appartement d’un air fort agité.

— Vous savez la nouvelle ? lui dit le député sans interrompre sa promenade ; on attaque mon élection.

— La chose est grave, répondit le journaliste, moins grave pourtant que celle que je vais vous apprendre.

— Que peut-il y avoir de plus sérieux que cette pétition infernale ? C’est, m’écrit-on, le procureur-général lui-même qui l’a rédigée.

— Il défend sa place.

— Qu’il se tienne bien ! Si une fois je parviens à mettre la main sur lui… Mais qu’avez-vous encore à me dire ?

— On veut enlever Mlle Henriette, dit Dornier, dont la souple physionomie exprimait en cet instant autant de trouble qu’il avait montré de sardonique impassibilité quelques momens auparavant.

— Enlever ma fille ? s’écria M. Chevassu en s’arrêtant brusquement.

— Et ce qu’il y a de plus odieux, ce que vous refuserez de croire, ce que j’ose à peine vous dire…

— Eh bien ?

— Non, je crains de blesser trop cruellement votre cœur.

— Expliquez-vous, Dornier, je le veux.

— C’est vous qui l’exigez !

— Je l’exige.

— Eh bien ! il paraît certain que votre fils est du complot.

— Prosper enlever sa sœur ? Allons donc ! cela n’a pas le sens commun.