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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/610

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REVUE DES DEUX MONDES.

prévenir. En pareil malheur, un père est toujours faible : il ne se venge pas, il pardonne.

M. Chevassu se remit à marcher à grands pas d’un air soucieux.

— Il y a du vrai dans vos paroles, dit-il au bout d’un instant ; le remède serait pire que le mal. Peut-être pardonnerais-je, non par faiblesse, comme vous paraissez le supposer : Dieu merci, ce n’est pas le caractère qui me manque, mais par raison ; car enfin un père qui aime ses enfans comme j’aime les miens s’efforce de cacher leurs fautes au lieu de les publier.

— Brave homme ! se dit ironiquement Dornier ; je le vois déjà me pressant sur son cœur lorsque je lui ramènerai sa colombe.

— Ma sœur sait-elle ce qui se passe ? demanda le député après avoir quelque temps réfléchi.

— Pas encore. J’ai voulu avant tout vous avertir.

— Vous avez bien fait. Mais ma sœur est une femme de bon conseil, et, tout en conservant ma pleine liberté d’action, j’aime assez prendre ses avis. Après dîner, nous irons chez elle.

En apprenant que M. de Moréal était déjà parvenu à se rapprocher d’Henriette, Mme de Pontailly sentit redoubler le furieux dépit qu’elle éprouvait depuis la veille.

— Votre fille ne peut pas rester dans cette pension, dit-elle à son frère lorsque Dornier eut achevé son récit ; déjà je savais que l’éducation y est fort négligée.

— Mais c’est vous-même qui m’avez adressé à Mme de Saint-Arnaud, lui fit observer le député.

— J’ai eu tort, ou, pour mieux dire, j’ai été trompée. Maintenant je crois me rappeler qu’une des pensionnaires de Mme de Saint-Arnaud a disparu mystérieusement il y a quelques années. On a parlé d’un enlèvement : il serait assez fâcheux que notre famille fournît un pendant à cette ridicule aventure.

— Où mettre Henriette ? dit M. Chevassu ; voulez-vous la reprendre ? La marquise sourit d’un air pincé.

— Vous me permettrez, dit-elle, de décliner une pareille responsabilité. La surveillance d’une jeune fille aussi romanesque et aussi indocile que Mlle Henriette exige un soin dont je me déclare humblement incapable. D’ailleurs, je ne me soucie pas d’introduire la guerre civile dans ma maison.

— La guerre civile, madame ! s’écria Dornier.

— Le mot est peut-être un peu trop grandiose, appliqué à de petites mésintelligences de ménage ; mais, à cela près, il est juste.