Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
611
UN HOMME SÉRIEUX.

deux hommes expliquera leur présence dans le lieu presque désert où depuis long-temps déjà ils étaient arrêtés.

— Trois heures cinq minutes, dit Morlot en tirant une montre d’argent ; il paraît que le cocher ménage ses chevaux.

— On se sera arrêté à Saint-Denis plus long-temps que je ne croyais, répondit Dornier tranquillement.

— Mais êtes-vous bien sûr que ce Dominique ne vous manquera pas de parole ?

— S’il me trompait, dit le journaliste avec un sourire sardonique, il faudrait ne plus croire à la probité humaine.

— Tant de coquins promettent pour ne pas tenir.

— Oui, quand ils n’ont aucun intérêt à exécuter leur promesse ; mais ce digne cocher, outre l’à-compte qu’il a reçu, sait bien qu’il sera libéralement récompensé.

— Je suis tranquille à cet égard, monsieur Dornier, dit l’ancien recors en riant d’un air agréable ; vous faites noblement les choses. Après cela, toute peine mérite salaire ; il faut convenir que l’affaire est délicate.

— Un enfantillage, je vous l’ai déjà dit.

— Un enfantillage ! voilà précisément le danger ; c’est qu’il s’agit d’une enfant. Si la jeune personne avait seulement une quarantaine d’années, cela marcherait de soi-même ; mais elle n’a que dix-huit ans : mineure, par conséquent.

— Qu’est-ce que cela fait ?

— Cela fait que, si la chose est prise du mauvais côté, vous vous exposez à la réclusion, et moi aussi.

— Père Morlot, dit le journaliste en jouant une insouciante bonne humeur, je ne vous croyais pas si fort sur le code pénal.

— J’ai eu le temps de l’étudier pendant les trois mois que ce gueux de républicain m’a fait passer en prison. C’est que j’ai assez comme ça du pain du gouvernement, voyez-vous.

— Vous n’en mangerez plus, c’est moi qui vous le promets, et même, si le pain en lui-même vous paraît indigeste, vous pourrez le remplacer par une nourriture plus succulente. Songez que vous voilà attaché à un journal important ; il ne s’agit plus, cette fois, du petit Patriote Douaisien.

— Que le diable ait son ame ! Mais enfin, pour en revenir à notre affaire d’aujourd’hui, les parens peuvent se fâcher.

— Quand je vous répète que tout est convenu avec eux, ou à peu près. Vous savez en quels termes je suis avec M. Chevassu.